Les années folles
Germain,
l’accueillit Yvette Veilleux. Viens boire quelque chose de chaud le temps qu’on
finisse de manger.
Visiblement
mal à l’aise, le jeune homme enleva sa casquette et déboutonna son manteau
avant de s’asseoir au bout du long banc occupé par Jean-Paul, Léo et Adrien. Céline
et Anne le regardèrent s’installer à table, ce qui eut pour conséquence de le
faire rougir.
– As-tu
déjeuné au moins ? lui demanda Ernest Veilleux.
– Oui, merci,
monsieur Veilleux.
En
posant la tasse de thé bouillant devant le jeune cultivateur, Yvette Veilleux
subitement se rendit compte qu’il y avait quelque chose de changé chez lui. Il
lui fallut quelques instants avant de voir que Germain Fournier était
soigneusement peigné ce matin-là et qu’en plus, il s’était rasé de près. Elle n’en
tira aucune conclusion et se garda bien d’en faire la remarque pour ne pas
gêner davantage son jeune voisin.
– La vache
est prête à être découpée, annonça Ernest. Mais je t’avertis : c’est une
grosse vache qui pourrait ben nous donner un peu plus que trois cents livres de
viande. Si on a le temps, on pourra toujours s’occuper du cochon après. Qu’est-ce
que t’en penses ?
– C’est ben
correct.
– On va
travailler dans l’entrée de la grange. On a installé une table avec des
chevalets et des madriers hier. Ma femme et mes filles ont déjà préparé tout ce
qu’il faut. Il y a aussi de la jute en masse pour envelopper la viande.
– J’ai
apporté mes couteaux, se contenta de dire Germain Fournier. Je suis habitué de
travailler avec, ajouta-t-il à titre d’excuse.
Après
le départ d’Adrien, de Léo et de Jean-Paul pour l’école, tous se ceignirent d’un
large tablier et se dirigèrent vers la grange dont la porte fut ouverte par
Ernest Veilleux. La bête était suspendue à trois pieds du sol, à faible
distance de la table improvisée. Pendant qu’on préparait les récipients et la
jute, Germain Fournier se mit en devoir d’enlever avec soin la peau de l’animal.
Il fallut à peine
un peu plus de trois heures pour débiter entièrement la vache en rôtis, en
tranches et en cubes. Germain Fournier démontrait une telle dextérité dans son
rôle de boucher qu’Ernest Veilleux renonça rapidement à se mesurer à lui. Il se
contenta de le seconder et d’aider sa femme et ses enfants à envelopper la
viande fraîchement coupée, avant qu’ils aillent la déposer dans le grand coffre
en bois installé dans la remise, au bout de la cuisine d’été.
De temps à autre, Germain
Fournier s’arrêtait de trancher quelques instants pour permettre aux Veilleux
de nettoyer la table improvisée. À deux ou trois occasions, cet
avant-midi-là, Yvette Veilleux surprit le regard du jeune cultivateur posé sur
sa fille Céline occupée à envelopper la viande. La mère de famille ne dit rien,
mais un pressentiment se forma dans son esprit.
Elle n’avait pas
tout à fait tort de soupçonner quelque chose.
Depuis sa visite
chez les Veilleux à la mi-octobre pour inviter Ernest à participer au ramassage
collectif du lait, Germain Fournier était en proie à toutes sortes de
sentiments contradictoires… Et ces sentiments lui étaient inspirés par Céline
Veilleux. La vue de la jeune fille de vingt ans avec sa taille élancée, ses
cheveux courts, son petit nez retroussé et ses joues marquées par des tache s de son l’avait singulièrement ému. En
fait, cette vision n’avait pas cessé de le hanter depuis.
Le jeune homme s’était
d’abord traité de tous les noms en se disant à mi-voix qu’il la voyait depuis
qu’elle était enfant et qu’elle n’avait rien de spécial. De plus, elle avait
dix ans de moins que lui. Malgré tout, son imagination ne le laissait pas en repos.
Il voyait Céline partout et il en était peu à peu venu à lui tenir des
conversations dont il formulait les questions et les réponses.
Finalement, n’en
pouvant plus, il avait cherché divers moyens de revoir la jeune fille, sans
pour autant paraître ridicule. C’est ainsi qu’il avait opté pour la grand-messe
du dimanche parce qu’elle y allait toujours avec ses parents. Il avait vite
pris l’habitude d’arriver à l’église avant les Veilleux pour avoir le plaisir
de voir entrer la jeune fille aux côtés de ses parents. Assis à une dizaine de
bancs derrière celui occupé par les Veilleux, il ne cessait de regarder à la
dérobée le profil de Céline durant la messe.
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