Les années folles
lui avait envoyé. Comme il ne pouvait
compter sur l’aide de personne, il avait dû se lever plus tôt que tout le monde,
soit un peu après quatre heures, pour dégager les entrées de la maison et de l’étable
avant d’aller traire ses vaches. Le jeune cultivateur entreprit même de déneiger
sa cour avant d’entrer déjeuner, mais il ne le fit pas sans maugréer contre le
mauvais sort qui voulait que la première tempête de neige de la saison lui
tombe dessus durant la semaine même où il était responsable du ramassage du
lait.
Après
un rapide déjeuner dans une maison glaciale où le poêle à bois avait eu le
temps de s’éteindre parce qu’il n’avait pu venir y jeter quelques rondins, le
jeune homme s’apprêtait à sortir un peu après huit heures quand il détecta, en
regardant par la fenêtre de la cuisine, un mouvement à gauche, près de sa
grange.
– C’est quoi,
ça ? fit Germain, intrigué.
Il
scruta l’endroit de plus belle. Il se demanda durant un moment s’il n’avait pas
imaginé quelque chose. Avec une telle épaisseur de neige, il ne voyait pas ce
qui aurait pu se déplacer à cet endroit. Une minute plus tard, il entrevit une
tête fine se profile r entre la grange et l’étable, tête qui
disparut presque aussitôt.
– Ah ben, maudit !
Un chevreuil ! s’exclama le célibataire.
Sans
perdre un instant, il se précipita vers le fusil de chasse suspendu au fond du
placard dans la cuisine et il s’empara de la boîte de balles rangée sur la
première étagère. Les mains tremblantes, il chargea l’arme. Il y avait plus de
dix ans qu’il n’avait pas abattu un chevreuil et il ressentait la même
excitation incontrôlable qu’il avait éprouvée à cette époque où il avait
découvert la bête dans le boisé, au bout de la terre paternelle.
Germain Fournier
sortit silencieusement de la maison eu évitant de faire claquer la porte
derrière lui et, le cœur battant, il traversa toute sa cour sur pointe des
pieds, craignant à tout moment que la bête ne soit déjà partie. Il ne la voyait
pas. Il espérait seulement qu’elle était cachée par le mur de la grange
derrière laquelle elle avait dû découvrir un reste de foin abandonné par
ses vaches avant qu’il les enferme pour l’hiver.
Parvenu devant la
grange, le chasseur décida de contourner le bât iment
par la droite, avançant péniblement dans la neige qui lui arrivait à mi-cuisses
à cet endroit. Il s’éloignait ainsi de son gibier pour ne pas l’alerter… s’il
était encore derrière le bât iment.
Germain fît une prière silencieuse pour retrouver la
bête là où il avait cru la voir de la fenêtre de la maison. En arrivant au coin
du bât iment, il entendit un léger frottement
contre le mur. Il allongea lentement le cou pour s’assurer qu’il ne se trompait
pas. Contrairement à ce qu’il avait cru, il n’y avait que peu de neige à l’arrière
de la grange. La veille, le vent avait soufflé dans l’autre direction. Le cœur
de Germain Fournier cessa de battre un bref moment quand il découvrit à moins
de trente pieds de lui un gros chevreuil occupé à brouter un peu de foin, à l’abri
du mur de la grange.
Le chasseur épaula
sans perdre un instant et tira. À une aussi faible distance, il avait peu
de chance de rater son coup. La bête s’écroula comme une masse. Germain se
précipita pour s’assurer qu’elle était bien morte. Il l’avait atteinte en
pleine tête. Toute l’excitation qui l’avait habité durant quelques minutes le
quitta brusquement.
Il abandonna son
gibier sur place et, sans perdre un instant, alla chercher son cheval qu’il
mena derrière la grange. Il lui fit tirer la carcasse de l’animal jusqu’à la
porte de la grange où il la suspendit au bout d’une chaîne.
Armé
de son meilleur couteau, il s’empressa d’éviscérer la bête avant que le froid
ne rende ce travail trop difficile. Après avoir jeté les viscères à ses porcs, il
hésita un moment entre dépecer tout de suite son gibier ou atteler son cheval à
son lourd traîneau pour essayer d’effectuer le ramassage du lait dans le rang. Il
opta finalement de s’occuper d’abord de son chevreuil, en se disant que le
temps qu’il prendrait pour le dépecer permettrait à ses voisins de mieux
déneiger la route.
Chapitre 12
La guignolée
À la mi-décembre, le presbytère de
Saint-Jacques-de-la-Rive bruissait d’activité. Ce mercredi-là, le curé Lussier
était
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