Les années folles
Claire.
– Parle
pas de malheur, toi, fit sa mère, soudain alarmée. Il manquerait plus qu’une
tempête qui nous empêche d’aller souper à Saint-Zéphirin ou qui l’empêche de
venir nous voir. On va réciter une dizaine de chapelets pour avoir du beau
temps au jour de l’ An .
En
entendant cette décision de sa mère, Aline jeta un regard furieux à sa sœur
aînée, qui se contenta de lui répondre par une grimace.
Le presbytère de
Saint-Jacques-de-la-Rive baignait dans une quiétude reposante en cet après-midi
du 31 décembre. Seuls quelques bruits feutrés venaient de la cuisine où Agathe
Cournoyer finissait de préparer le dîner des deux prêtres.
Pour sa part, Gabrielle
Paré avait occupé la plus grande partie de l’avant-midi à faire le ménage de
diverses pièces. Elle pénétra dans la cuisine.
– Donnez-moi
ça, madame Cournoyer, dit-elle en tendant la main vers le couteau avec lequel
la vieille dame s’apprêtait à découper un poulet, et reposez-vous un peu.
– Voyons donc,
je suis pas si fatiguée que ça, dit la vieille dame en lui tendant tout de même
l’ustensile.
Mais
ses traits tirés et son air las montraient plutôt le contraire. Agathe Cournoyer
se laissa tomber sur une chaise au bout de la table placée au centre de la
cuisine et elle regarda la jeune fille dépecer la volaille avec une rare habileté.
– Il faudrait
que tu te ménages toi aussi, ma belle, recommanda la vieille dame sur un ton
affectueux. T’arrêtes pas du matin au soir. Quand c’est pas au presbytère, c’est
à la maison. T’es pas une machine.
– Ayez pas
peur, madame Cournoyer. Quand je suis fatiguée, je fais rien.
La
vieille servante était de plus en plus entichée de l’orpheline. Elle était exactement
à l’image de la fille qu’elle n’avait jamais eue. Vaillante et habile de ses
mains, Gabrielle exécutait la plupart des travaux tant au presbytère que dans
sa petite maison. Rien ne semblait la rebuter. En moins d’un mois, Agathe en
était venue à éprouver à son endroit une réelle affection.
– De la
fricassée de poulet, c’est pas bien nouveau comme dîner, constata la jeune
fille.
– C’est sûr que
c’est pas original comme le chevreuil que t’as pas encore fait cuire, répliqua
la vieille servante, moqueuse.
– C’est vrai.
J’avais complètement oublié cette viande-là.
Il
y eut un court silence dans la pièce.
– Je me
souviens pas non plus d’avoir revu le garçon qui nous l’a donnée, reprit Gabrielle.
– Germain
Fournier ? On dirait que ce pauvre Germain sort presque plus de chez eux. Je
l’ai vu dimanche passé à la basse-messe. Je dirais qu’il a jamais été aussi sauvage.
Il regarde plus personne.
– Pourquoi ?
Qu’est-ce qui lui est arrivé ? demanda Gabrielle, intéressée.
– Je
le sais pas trop. Emma Tougas m’a raconté avant hier qu’elle avait entendu dire
qu’il aurait demandé à la petite Veilleux d’être son cavalier, mais qu’elle a
pas voulu. Il paraît qu’il l’aurait bien mal pris. Le pire, c’est qu’il est
tout seul. En tout cas, les jeunes du village trouvent ça bien drôle, d’après
elle.
– C’est
triste, fit Gabrielle, d’un air songeur.
– La Céline
est jeune et c’est à croire qu’elle trouve pas le Germain trop, trop à son goût.
Il faut reconnaître aussi que Germain Fournier a jamais gagné un prix de beauté.
– C’est sûr.
– Mais je
suis certaine que c’est un bon garçon, ajouta la vieille servante. Il a pas l’air
de boire et il est travaillant. En plus, il a pris soin de sa mère quand elle
est devenue veuve. Je pense que c’est un homme qui a du cœur.
– Au fond, c’est
pas bien charitable de le laisser se morfondre tout seul dans le temps des
fêtes, reprit l’orpheline en ramassant les os du poulet qu’elle venait de dépecer.
– D’autant
que je pense pas que sa sœur Florence vienne le voir au jour de l’ An . Sa sœur, c’est sa seule famille.
Il y eut un autre bref moment de silence dans la pièce, silence à peine
troublé par le bruit du couteau sur la planche de bois sur laquelle Gabrielle
hachait maintenant le poulet.
– Qu’est-ce que vous diriez, madame Cournoyer, si je préparais
ma recette de chevreuil pour notre souper du jour de l’ An ? J’aurais le temps de la faire, on
a pas à préparer le souper de monsieur le curé.
– Pourquoi du
chevreuil ? On a des tourtières.
– On pourrait
en profiter
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