Les années folles
pour inviter Germain Fournier et lui faire goûter son chevreuil. En
même temps, ce serait faire preuve de charité chrétienne.
– C’est bien
beau ton idée, mais quand est-ce qu’on va le voir pour l’inviter ?
– On va bien
le voir demain matin a la messe, Madame Cournoyer. Si vous le voulez, je vais l’inviter.
– Fais à ta
tête, ma fille, consentit la vieille clame d’assez bonne grâce, mais attends
que je sois là avec toi. Il faudrait pas que le monde de la paroisse se mette à
jacasser sur ton compte en te voyant parler toute seule avec lui.
Gabrielle
Paré parvint à ne manifester aucun signe de joie particulière. Pourtant, elle
venait d’imposer à sa logeuse une idée qui lui trottait dans la tête depuis le
jour de la guignolée, soit tenter d’attirer l’attention du célibataire. Évidemment,
il n’y avait encore rien de fait, mais il y avait de l’espoir. S’il acceptait
de venir partager le souper qu’elle se proposait de lui offrir, elle
parviendrait pro-bablement à détourner son attention de Céline Veilleux et qui
sait…
Le lendemain matin,
la jeune fille poussa un léger soupir de soulagement lorsqu’elle vit Germain
Fournier pénétrer dans l’église. Elle le suivit du regard pendant qu’il se
rendait à son banc. Ses cheveux châtains étaient longs et en désordre, et il
était mal rasé. Il présentait un visage fermé peu avenant.
– Il est là, madame
Cournoyer, chuchota-t-elle à l’oreille de sa voisine de banc. On va pouvoir l’inviter
après la messe.
– Ça se fait
pas pour une jeune fille d’inviter toute seule un homme. Si tu fais ça, il va
croire que t’as des intentions. Attends-moi, j’y vais avec toi, lui ordonna Agathe
Cournoyer.
– Voyons donc,
madame Cournoyer, protesta à voix basse Gabrielle. Vous l’avez regardé ?
La
ménagère du curé Lussier se contenta de taper légèrement sur le bras de la
jeune fille avant de se remettre à prier.
En ce dernier
dimanche de 1922, l’abbé Martel célébra la basse-messe dans une église à demi
remplie. Dès qu’il eut quitté le chœur, précédé de son servant de messe, les
fidèles se dirigèrent vers les portes. Gabrielle Paré et Agathe Cournoyer
laissèrent passer devant elles Germain Fournier avant de le suivre. Sur le
parvis, la jeune cuisinière du curé toucha le bras du célibataire au moment où
il se coiffait de sa tuque.
– Monsieur
Fournier.
Germain tourna la tête en sa direction et la découvrit en compagnie d’Agathe
Cournoyer.
– Oui, fit-il
en rougissant légèrement.
– En vous
voyant, je me suis demandé si vous aviez commencé à manger de votre chevreuil.
Pendant
un moment, Germain, emprunté, ne sut quoi répondre à celle qui l’avait
interpellé.
– Non… Pas
encore, finit-il par répondre d’une voix embarrassée.
– Comme ça, vous
avez pas eu confiance dans la recette que je vous ai donnée ?
– Ben… C’est
pas ça, mademoiselle. C’est que j’ai pas eu le temps de l’essayer.
– Qu’est-ce
que tu dirais, Germain, de venir goûter à ton chevreuil chez nous, demain soir ?
intervint Agathe Cournoyer. Gabrielle parlait justement de la faire pour le
jour de l’ An , cette recette-là.
L’invitation était
si imprévue que Germain Fournier demeura d’abord sans voix. Il jeta un regard
autour de lui, comme pour s’assurer que personne ne l’avait entendue. On aurait
juré qu’il craignait une blague de mauvais goût.
Son regard finit
par revenir se fixer sur les deux femmes qui lui faisaient face.
– Pis ? fit
Agathe Cournoyer, avec une certaine impatience.
– Ben… Je
sais pas trop, madame Cournoyer. J’ai mon train à faire et…
– Ecoute donc,
Germain Fournier, as-tu peur qu’on t’empoisonne ?
– Ben non, mais…
– Nous autres,
on est toutes seules demain. C’est plate un jour de l’ An quand t’as pas de visite. Si t’es tout
seul toi aussi, il y a rien qui t’empêche de venir manger avec nous autres.
Germain
sembla prendre une profonde inspiration avant de dire :
– Si c’est
comme ça, c’est correct. Je vais venir. Mais je voudrais pas vous déranger.
– Mais non, monsieur
Fournier, intervint Gabrielle en lui adressant son sourire le plus enjôleur. Il
faut bien qu’on mange, nous autres aussi.
Le
matin du jour de l’ An , les
gens se rendirent compte que le mercure avait sérieusement chuté, mais on ne
voyait dans le ciel que quelques nuages effilochés
Weitere Kostenlose Bücher