Les autels de la peur
substitut Faure, magistrat des plus capables, Claude se partageait, comme le souhaitait Dubon, entre la Commune et les Jacobins. À l’Hôtel de ville, il faisait partie du Comité de surveillance. L’Assemblée législative, sous la pression de la Commune, ayant destitué les juges de paix, suspects de feuillantisme, on avait remis aux départements, districts et municipalités la police de sûreté générale, c’est-à-dire la recherche de tous délits menaçant la sécurité intérieure et extérieure de l’État : ce qui comportait le recensement des citoyens inquiétants par leurs opinions ou leur conduite, et le soin de les arrêter, de les détenir. Le rôle du Comité de surveillance générale consistait à examiner les dénonciations adressées par les comités des sections au Conseil municipal, et à décider de la suite. Les personnes reconnues suspectes étaient détenues, pour le moment, dans les prisons ; elles seraient déférées au tribunal révolutionnaire dont le principe avait été admis par l’Assemblée.
Le principe, mais non la constitution et les pouvoirs. Là-dessus, les vainqueurs du 10 août et le corps législatif disputaient avec une violence croissante. L’Assemblée ne voulait pas d’un tribunal formé de sectionnaires, qu’elle considérait comme juges et parties. À l’Hôtel de ville, aux Jacobins, on s’irritait contre sa résistance. L’émeute était de nouveau dans l’air. Le 15, la section des Quinze-Vingts, travaillée par Huguenin, se présenta au Conseil général en annonçant que l’on sonnerait le tocsin au faubourg Saint-Antoine, si le corps législatif ne satisfaisait pas sur-le-champ à la demande du peuple. Une délégation conduite par Robespierre dans son habit de nankin à rayures, avec sa chevelure toujours poudrée, partit aussitôt pour le Manège où Maximilien, de la barre, lança cette apostrophe : « La tranquillité du peuple tient à la punition des coupables, et cependant vous n’avez rien fait pour les atteindre. Votre décret concernant les moyens de répression est insuffisant : il ne parle que des crimes du 10 août, et les crimes des ennemis de la Révolution s’étendent bien au-delà du 10 août et de Paris. Avec une expression pareille, le traître La Fayette échapperait aux coups de la loi ! Quant à la forme du tribunal, on ne peut pas davantage tolérer celle que vous prétendez lui donner. Il doit être composé d’hommes pris dans les sections, et avoir la faculté de juger souverainement, sans appel. »
Claude, connaissant bien les lenteurs du tribunal criminel, estimait lui aussi qu’il fallait recourir à des formes exceptionnelles, pour en finir avec la contre-révolution. À la tribune du club, il dit aux Girondins qu’avec leurs demi-mesures ils conduisaient à de nouveaux massacres. « De plus, ajouta-t-il, beaucoup de personnes ont été arrêtées injustement. L’humanité exige qu’un tribunal fasse rapidement le tri entre les suspects et les coupables. » Les Brissotins lui répondirent, comme l’avait fait l’Assemblée dans une adresse au peuple, qu’instaurer une justice d’exception, c’était vouloir créer un nouveau despotisme. Claude discernait bien ce risque, mais il lui semblait moins immédiat et moins redoutable que celui d’un soulèvement. L’effervescence des sections populaires était manifeste. Si l’on ne prenait pas de promptes mesures, le sang coulerait de nouveau dans Paris.
En quittant les Jacobins, Claude eut une discussion assez vive avec Dubon et Robespierre, très montés tous deux contre Brissot et le clan Roland. « Brissot combat sournoisement la volonté de la Commune parce qu’il vise à la dictature », disait Maximilien. Et Dubon : « Par les amis de sa femme, le stupide Roland pousse l’Assemblée à nous faire échec, pour donner tout le pouvoir au Conseil exécutif et y supplanter Danton. Avec des imbéciles et des pédantes de cet acabit, la Révolution serait bientôt écrasée. À quoi sert d’avoir décapité la Cour, s’il reste vingt-cinq mille royalistes, monarchistes ou réfractaires en liberté dans Paris ? Si on ne les met promptement en lieu sûr, autant expédier les clefs de la ville à Brunswick, avec des cordes pour nous pendre ! Vous avez raison, Robespierre : c’est très bien de défendre la patrie aux frontières, mais il faut d’abord la délivrer au dedans. » C’est ce que Maximilien, poursuivant fidèlement son
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