Les autels de la peur
d’autre souci que de nous réunir autour d’une bonne table ! Maintenant, je vais manger des brouets Spartiates chez la vertueuse épouse du vertueux Coco, pour surveiller leurs manigances. Allons, trêve de jérémiades ! Quel bon vent t’amène ? »
Claude répondit en exposant sa mission. « Je l’ai mis au courant, précisa Camille. Je lui ai montré que tu suis les choses de près.
— Mais oui. Dis à nos amis de la Commune qu’ils ne s’inquiètent pas et me laissent faire, j’arrangerai ça. »
Le Conseil général accepta cette promesse avec la garantie des renseignements plus explicites, fournis par Desmoulins : à savoir, en particulier, que le ministère demandait la réunion de l’Assemblée électorale pour le lendemain, afin de compléter le tribunal, de nommer deux directeurs du jury d’accusation, des juges suppléants et des jurés supplémentaires.
De ce côté, la situation semblait donc devoir s’améliorer. D’autre part l’ordre, périlleusement troublé par La Fayette à la frontière du nord-est, semblait à présent rétabli. Le décret d’accusation lancé contre le général traître, ainsi qu’un avertissement sévère envoyé au département des Ardennes, avaient suffi pour comprimer l’ultime sursaut du feuillantisme. Abandonné à sa rébellion, ne trouvant aucune complicité, ni parmi ses officiers, ni parmi ses soldats, La Fayette était passé en territoire ennemi avec Alexandre Lameth, les deux frères Latour-Maubourg et quelques aides de camp, après avoir pris soin toutefois d’établir sur des positions défensives très solides les troupes placées directement sous ses ordres. Sans doute comptait-il gagner la Hollande, et là, probablement, s’embarquer pour l’Amérique, mais il était tombé aux mains des Autrichiens qui, l’ayant fait prisonnier avec ses compagnons, se vantaient de détenir en lui le principal auteur de la Révolution, son grand homme. Bon débarras, en réalité.
Seulement ce débarras laissait la principale armée dans un redoutable état d’anarchie, sans chef, sans lien entre les corps dispersés au long de la frontière. Par un caprice du hasard, l’ami Couthon, le doux et fin Couthon, soignait ses pauvres jambes à Saint-Amand-les-Eaux, dans les environs de Valenciennes où se trouvait le camp de Maulde, tenu par Dumouriez. Jacobins et girondistes tous deux, ils étaient entrés en relations familières, et, après le 10, Couthon avait su gagner Dumouriez à la nouvelle révolution. En vérité, Claude se demandait si l’ambitieux général n’entendait pas le conseil de son opportunisme plutôt que les leçons patriotiques du bon Couthon. Car, La Fayette définitivement sorti de la scène, les plus vastes perspectives non seulement de gloire mais de puissance s’ouvraient pour son rival s’il parvenait à sauver la France. Westermann l’en prétendait capable. Émissaire de Danton aux armées, l’Alsacien s’était pris d’admiration pour Dumouriez à voir la façon dont il avait, avec autant de fermeté que de diplomatie, ressaisi en peu de temps les troupes incertaines et désorganisées. Westermann le recommandait comme l’homme de la situation. Appuyé ainsi auprès de Danton, accepté par les Jacobins qui se fiaient en l’occurrence à Couthon, il était en outre le grand espoir du clan Roland. L’austère et vaniteux Coco, Clavière, Servan, ministre de la Guerre, oubliaient leurs frictions avec Dumouriez dans le premier cabinet « sans-culotte ». Ils ne retenaient de leur ancien collègue que ses qualités d’homme d’action, énergique et déterminé : qualités qui leur manquaient totalement, à eux. Certainement, ils pensaient faire de lui, pour la Gironde, ce que La Fayette n’avait pas su être pour la monarchie constitutionnelle, et triompher, grâce à lui, de la Commune et du « Cyclope », c’est-à-dire de Danton, comme on le surnommait maintenant chez les Roland. Mis en garde par Claude, Danton lui avait répondu en souriant, avec son air de paysan finaud : « Si Dumouriez est capable de sauver la France, ainsi que l’assure Westermann, il est assez intelligent pour ne point s’acoquiner avec ce tas d’imbéciles menés par une précieuse ridicule. Laisse-moi faire, mon ami. » Et, d’un consentement quasi unanime, Dumouriez avait été nommé général en chef de l’armée des Ardennes, tandis que le lieutenant-général Kellermann remplaçait pratiquement
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