Les autels de la peur
devaient pourvoir eux-mêmes à leur subsistance, qu’ils pouvaient se faire acheter au dehors, mais deux d’entre eux, cuisiniers de profession, avaient pris à charge la nourriture pour tout le monde, moyennant trois francs par personne et par jour. Les conseils accordés aux détenus pour préparer leur défense venaient les visiter, ils leur apportaient les nouvelles. On avait connu ainsi les exécutions de MM. de Laporte, d’Anglemont, du brave Durozoy, qui s’était proclamé heureux de mourir le jour de la Saint-Louis, pour la cause de la religion et celle du Roi. On avait eu le cœur navré par ces actes barbares, peu rassurants pour qui se préparait à comparaître devant le tribunal extraordinaire. Toutefois, l’acquittement du colonel d’Affry laissait quelque espoir. Encouragé par son défenseur, Weber s’était mis à rédiger son procès en se fondant sur ses précédents interrogatoires, composant les réponses aux questions qu’on lui poserait, prévoyait-il. Occupé de la sorte, et, comme il le disait à ses amis, soutenu par sa confiance en l’Être suprême, il attendait avec résignation le redoutable moment de paraître devant ses juges.
Pendant la nuit du 31, il fut réveillé, ainsi que MM. de Rhu-lières et de La Chesnaye, par un grand bruit dans les chambres au-dessus et dans la cour. Ce tumulte ne dura guère. On se rendormit. Au matin, sitôt les portes ouvertes, une rumeur se répandit parmi les prisonniers : « Vous ne savez pas ? le concierge a été enlevé cette nuit et traîné à la barre de l’Assemblée nationale.
— Ah bah ! Et pour quelle raison ?
— Le Comité de surveillance avait fait amener un détenu nommé Julien. Il a comparu pris de vin, il s’est montré insolent. L’Assemblée, qui s’arroge maintenant le droit de juger même les intentions, a prétendu voir là un coup prémédité par le concierge. Enfin, elle l’a relâché néanmoins. Julien a été condamné au pilori. »
Ceux qui racontaient ainsi l’histoire ignoraient le fonctionnement des institutions depuis le 10 août. L’Assemblée nationale se souciait assurément fort peu qu’un ivrogne insultât le Comité de surveillance. De plus, elle n’avait rien à faire avec un concierge des prisons : celles-ci dépendaient de la Commune. Troisièmement, ni l’Assemblée ni le Conseil général ni le Comité ne disposaient du pouvoir de condamner. Il devait cependant y avoir là-dessous un fond vrai, car les conseils de Weber et du chevalier La Chesnaye, les visitant dans la relevée, leur dirent qu’un certain Jean Julien, exposé au pilori, venait de provoquer une émeute sur la Grève en criant : « Vive le Roi ! À bas la nation ! » Il annonçait en même temps que les royalistes sortiraient bientôt des prisons pour massacrer les révolutionnaires. Dans Paris, ajoutèrent les deux défenseurs officieux, on subodorait en cette folle manifestation une trame de Robespierre. Le sanguinaire individu ou ses satellites avaient assurément persuadé Jean Julien – un voleur condamné à douze ans de fers – de dénoncer les agissements de ses codétenus, moyennant quoi il obtiendrait sa grâce. Voilà pourquoi on avait bruyamment orchestré la comparution du misérable, afin d’attirer l’attention et de donner un grand éclat aux paroles qu’il lancerait à la foule devant le pilori.
« D’autre part, messieurs, ajouta l’un des conseils, un projet d’évasion a été agité ici, ces derniers jours.
— Un projet, c’est beaucoup dire, rectifia La Chesnaye. Au plus a-t-on songé à se servir de quelques poutres empilées dans cette cour, pour défoncer ce mur-ci. Il ne semble pas très solide et il donne directement sur la petite rue du théâtre de Beaumarchais, néanmoins l’entreprise n’aurait guère pu réussir : elle eût été trop bruyante.
— Mais on a eu l’imprudence d’en parler assez haut pour que cela soit entendu. Les Jacobins ont des espions ici comme partout, messieurs. Défiez-vous des oreilles qui vous écoutent. La municipalité a été prévenue.
— Nous nous en sommes doutés, car des ouvriers, accompagnés de gendarmes, sont venus enlever les poutres en nous faisant des mines terribles.
— Eh ! qui sait si Jean Julien n’était pas sincère et n’a pas cru à ce projet ? On imagine bien, au demeurant, que dans toutes les prisons il doit exister des desseins de fuite. Les satellites de Robespierre et de l’atroce
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