Les autels de la peur
Dubon arrivèrent, l’Assemblée renvoyait la motion pour rapport.
À la barre, Claude dit quel esprit animait le conseil municipal, et que, dans le péril actuel, on devait employer tous les moyens pour galvaniser la nation, la dresser en armes, résolue à vaincre ou s’ensevelir sous ses propres ruines. Dubon fit alors part des mesures prises pour la levée en masse des citoyens. Vergniaud, montant à la tribune, félicita non point la Commune mais les Parisiens de montrer enfin l’énergie que l’on attendait. « Cependant, dit-il, au milieu de ces espérances flatteuses, il est un danger contre lequel on ne saurait trop vous mettre en garde : celui des terreurs paniques. Nos ennemis y comptent. Le peuple leur infligera un premier échec en ne se laissant point égarer. » Claude entendit l’allusion. Elle était courageuse, certes, mais peu convaincante. Il approuva bien davantage l’orateur lorsque celui-ci fit remarquer que l’on parlait trop et que l’on agissait fort peu. « Pourquoi les retranchements du camp sous Paris ne sont-ils pas plus avancés ? Où sont les bêches, les pioches et tous les instruments qui ont élevé l’autel de la Fédération et nivelé le Champ de Mars ?… Je demande que l’Assemblée nationale envoie à l’instant, et chaque jour, douze commissaires au camp, non pour exhorter par de vains discours les citoyens à travailler, mais pour piocher eux-mêmes, car il n’est plus temps de discourir, il faut piocher la fosse de nos ennemis, ou chaque pas qu’ils font en avant pioche la nôtre. »
Sous d’autres formes, Claude avait mainte fois exprimé ces idées devant le Conseil général. Paris renfermait trop d’oisifs, d’indigents soldés maintenant qui traînaient dans les assemblées de section, les corps de garde, autour du Temple, trop de fédérés du 10 août plus enclins à défiler par les rues en braillant la Carmagnole ou le Ça ira, ou bien à vociférer dans les sociétés populaires, qu’à marcher contre l’ennemi, trop de nouveaux enrôlés qui restaient dans les murs. Non seulement le camp demeurait à l’état d’ébauche, mais encore les travaux commencés pour l’installation, à Montmartre, des gros canons qui battraient la plaine Saint-Denis ne s’achevaient pas. Les citoyennes invitées à s’assembler dans les églises afin de coudre les effets d’équipement hantaient en réalité les tribunes du Conseil général, des clubs, du tribunal extraordinaire. Il était trop tard, à présent, et il aurait fallu plus qu’un discours pour fixer cette multitude, la saisir fermement, emmener hors les murs l’anarchique armée sans-culotte, lui imposer une discipline. Une grande voix en eût été capable, peut-être. Elle se taisait. Le tocsin, le canon d’alarme, le drapeau noir la remplaceraient-ils ? L’annonce du péril terrible et imminent convaincrait-elle le peuple de laisser les juges, le bourreau faire justice des ennemis intérieurs, et de courir, lui, à l’ennemi étranger ?
Tandis que Claude retournait en voiture, avec Dubon, à l’Hôtel de ville, il espérait entendre enfin Danton. Il n’y était pas. Sacrebleu ! que diantre attendait-il ? Deux commissaires de la section Poissonnière apportaient un arrêté que leur bureau venait de prendre et communiquait aux quarante-sept autres : « La section, considérant les dangers de la patrie et les manœuvres infernales des prêtres, arrête : Tous les prêtres réfractaires et personnes suspectes, enfermés dans les prisons de Paris, Orléans et autres, seront mis à mort. » La section du Luxembourg avait voté une résolution identique. « Je vais chez Danton », dit Claude à son beau-frère un peu pâle, les lèvres serrées. Midi sonnait. C’était un beau dimanche encore chaud. Des badauds, au sortir du dîner, se promenaient au soleil. Des groupes de fédérés, de gardes nationaux populaires en carmagnole, pantalon et sabots, de jeunes volontaires, passaient en chantant avec fureur. Sur les murs s’étalaient, à côté des placards de Marat et d’Hébert, des affiches toutes fraîches avertissant la population que les armées étrangères avaient investi Verdun et pouvaient être sous six jours devant Paris. On criait une brochure : « Grande trahison de Louis Capet. Complot découvert pour assassiner dans la nuit du 2 au 3 de ce mois tous les bons citoyens de la capitale, par les aristocrates et les prêtres réfractaires aidés des brigands
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