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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Brissot et Vergniaud étaient venus voir Claude à son cabinet, quai des Orfèvres, et, lui disant que l’on songeait à Dumouriez pour les Affaires étrangères, au Suisse Clavière pour les Finances, à lui-même pour l’Intérieur, lui avaient demandé s’il acceptait ce portefeuille. « Assurément non. Mes chers amis, votre marque d’estime me touche plus que je ne saurais dire, mais il faudrait être fou pour accepter un tel poste. Les ministres, de quelque parti qu’ils soient et quels que soient leurs appuis, resteront paralysés. Ils s’useront contre la Cour sans pouvoir rien faire. Mon cher Brissot, vous m’avez rendu républicain. Je le suis bien, à présent, et je ne serai jamais ministre sous un monarque, même constitutionnel. »
    Quoique surpris, et flatté, par la proposition, Claude n’avait pas hésité. Ce grand emploi dont il rêvait confusément, à Limoges, on venait le lui offrir : il le repoussait, et il était heureux de sentir qu’il le refusait sans regret. Quand il rapporta la chose à Lise, elle l’approuva complètement. Deux jours plus tard, le vendredi, ils étaient tous les deux, ainsi que Gabrielle Dubon, rue Guénégaud, à l’Hôtel Britannique, chez les Roland avec lesquels ils avaient passé la soirée, lorsque Brissot, accompagné de Dumouriez, petit homme maigre et vif, peu éloigné de la soixantaine, arriva. Après le refus de Claude, Brissot avait fait au bonhomme Roland les mêmes ouvertures. Il ne les avait pas repoussées, lui. « Son zèle et son activité ne répugnent point à cet aliment », disait sa femme qui, sous un air détaché, brûlait d’excitation à l’idée d’être ministresse. Dumouriez sortait du Conseil et venait apprendre à Roland sa nomination à l’Intérieur. Le bonhomme, certes point arriviste, mais fort vaniteux, en bégaya un moment.
    « Permettez-moi de vous offrir toutes mes félicitations, Monsieur le ministre, lui dit Claude en souriant. Je souhaite que vous n’ayez pas mis la main dans un guêpier. » Cette remarque ne parut pas ravir M me  Roland.
    « Voilà une femme perdue », dit Lise quand ils furent sortis, laissant le ménage avec ses visiteurs. « Quant à ce Dumouriez, il a le regard faux, l’air d’un parfait libertin, et c’est certainement un homme dont il faut se défier plus que de personne au monde. Pauvre Brissot ! ajouta-t-elle.
    — Je le vois mal parti, en effet », reconnut Claude. Il se doutait bien que si on lui avait proposé un portefeuille, ce n’était pas uniquement pour ses mérites. Les Brissotins eussent été bien aises de neutraliser Robespierre en mettant un de ses amis dans leur ministère. Or, celui-ci, composé d’un pauvre homme comme Roland, entraîné par la vanité dans les troupes inconsistantes de la Gironde, de médiocres comme Lacoste, Degrave, un obscur Duranthon, et mené par un intrigant certain, ne pouvait être qu’un instrument pourri d’avance entre les mains de Brissot, de Vergniaud : ils n’en tireraient que des méchefs.
    Brissot, maigre, comme dévoré par son activité, ne cessait de s’agiter pour assurer le triomphe de ses idées changeantes et de son parti. Désintéressé pour lui-même, pour eux il était insatiable. Si l’on retirait l’intention déshonorante, le mot « brissoter » allait à merveille à ce petit homme dont le remuement perpétuel agaçait et fatiguait. Quant à Vergniaud, Claude ne manquait pas de sympathie pour lui ni d’admiration pour son talent oratoire. Ils avaient fréquenté tous deux le vieux collège de Limoges, à quelques années d’intervalle, car Vergniaud comptait neuf ans de plus que Claude, et, une fois ses grades de droit pris à Paris, il s’était installé à Bordeaux. Ils ne se connaissaient donc pas avant de se voir aux Jacobins où ils avaient appris à s’estimer. Claude néanmoins ne mettait nulle confiance en Vergniaud, patriote, sans aucun doute, mais indolent, épicurien, incapable d’effort suivi. « Au fond, ce pauvre Brissot, comme tu l’appelles, n’est pas très intelligent, Vergniaud pas très avisé en dehors de ses grands mouvements d’inspiration. Je les jugeais déjà fort capables de se perdre tout seuls, et ils se lient à un individu fait, semble-t-il, pour perdre n’importe qui. »
    Au club, Robespierre fut très dur avec Dumouriez. Il lui déclara qu’avant de lui accorder confiance, on le jugerait à ses actes. Sur quoi le petit bonhomme, leste et malin, lui

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