Les autels de la peur
chose que l’exécution des criminels. Plus tard, le vote du code pénal s’achevait à la va vite, sans qu’aucune décision fût prise sur les modalités d’application de l’article 3, Titre I. Et à présent Claude se voyait devant ce fait sans exemple : il avait requis une condamnation, mais personne ne savait de quelle façon l’exécuter. Cas nullement unique, d’ailleurs : d’autres individus, condamnés par les autres tribunaux d’arrondissement, attendaient depuis des mois qu’on voulût bien trouver un moyen de leur couper humainement la tête. Avisé, le ministre de la Justice en avait référé à l’Assemblée, laquelle s’en était remise à l’Académie de chirurgie en lui laissant à décider si la motion Guillotin semblait réalisable.
Le 9 mars, Claude, aux Jacobins, sut par Rœderer que le secrétaire perpétuel de ladite académie, le D r Louis, venait de remettre un rapport au comité de législation de l’Assemblée : rapport conforme à l’idée avancée par Guillotin et déterminant la forme et le mécanisme d’une machine à décapiter. « Votre Pelletier n’attendra plus longtemps », conclut le procureur général-syndic du Département. En quoi il se trompait, car on avait appris la mort subite de l’empereur Léopold, et, travaillée par les Brissotins, la seconde Assemblée, tout comme la première, pensait à bien autre chose que l’art et la manière d’exécuter les condamnés de droit commun. Brissot et la Gironde s’occupaient à renverser le ministère feuillant Delessart. Le 18, Brissot, pièces en main, l’accusait d’avoir dissimulé à l’Assemblée la signature d’un traité d’alliance entre l’Autriche et la Prusse, retardé la communication de la réponse hautaine, voire menaçante, de l’Empereur à la sommation du 25 janvier.
Ce fut seulement le 20 mars que, dans un moment de répit, la Législative, après lecture du rapport Louis, adopta le projet de machine et autorisa le pouvoir exécutif à engager les dépenses nécessaires. Le 25, la loi sur le mode d’exécution des condamnés à mort fut enfin signée par le Roi, promulguée. Aussitôt Rœderer se mit en devoir de la faire appliquer dans le département de Paris. Mais, entre-temps, le ministère s’était effondré sous les coups de Brissot, de Vergniaud lançant de la tribune, vers les Tuileries, cette apostrophe : « Je vois d’ici le palais où se trame la contre-révolution, où l’on prépare les manœuvres qui doivent nous livrer à l’Autriche. » Puis, faisant allusion particulièrement à la Saint-Barthélemy : « Dans les temps antiques, la terreur et l’épouvante, au nom du despotisme, sont souvent sorties de ce palais fameux. Qu’elles y rentrent aujourd’hui au nom de la loi. Qu’elles y pénètrent les cœurs ! Que tous ceux qui l’habitent sachent que le Roi seul est inviolable, que la loi peut y atteindre sans distinction tous les coupables. Pas une tête convaincue d’être criminelle ne saurait échapper à son glaive. »
Au-delà des ministres, ces paroles visaient la Reine. Par des espions, on savait qu’elle entretenait une correspondance secrète avec les cours d’Autriche et de Prusse. Elle y avait des agents – son ancien secrétaire le baron de Goguelat, Mercy-Argenteau, et bien d’autres – par lesquels elle communiquait aux souverains les décisions du Conseil. À travers elle, l’étranger pénétrait dans celui-ci, il connaissait les mesures militaires depuis le renvoi de Narbonne. On ne pouvait plus ignorer cela. Barnave, toute illusion ruinée, désespéré, avait quitté Paris pour se retirer à Grenoble. Aux yeux mêmes de Claude, la Reine ne pouvait plus être que l’ennemie, une étrangère dépossédée de son sceptre absolu, furieuse, dont il fallait attendre le pire. Quelle tristesse ! Quelle amertume de voir finir ainsi tant d’amour ! Et malgré tout, il restait encore de l’attachement, au moins pour le Roi. Quand il sortait parfois, le matin, allant se promener à cheval dans les bois de Boulogne, du côté de Saint-Cloud, Neuilly ou Saint-Ouen, Rueil, il se trouvait encore dans le peuple des gens pour le saluer avec affection, l’acclamer.
Delessart avait été mis en accusation, arrêté, conduit à Orléans, siège de la Haute-Cour nationale, pour y être jugé. Les Brissotins, ne pouvant, en tant que députés, devenir ministres, composaient un ministère formé de créatures à eux. Le 21,
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