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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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vie de coq en pâte, cet hiver ! » répliqua Bernard.
    Il leur avait déjà donné, dans ses lettres, quelques aperçus de cette existence peu facile, mais brièvement. Pendant le souper, il leur en raconta davantage : disette de vivres, que l’on palliait un peu par la chasse dans la forêt sous prétexte d’exercices, mais surtout insuffisance de l’habillement. Avec ce froid, ils n’avaient pas de manteaux, seulement leurs uniformes de mauvais drap rétrécis aux premières pluies, des couvertures trop petites et minces comme feuilles, des souliers déjà usés par les longues marches de l’automne. Ils se bardaient de papier, de paille, s’affublaient de vieux vêtements troqués aux habitants contre du gibier, se fabriquaient des moufles avec des morceaux de lainage, car l’acier des armes, glacé, emportait la peau. Pour les soldats, les gardes par ce temps étaient un supplice, et, comme un officier digne de ce nom ne pouvait pas rester dans son lit pendant que ses hommes et ses gradés gelaient sur place, il fallait faire des rondes incessantes, se procurer de quoi organiser des distributions de vin chaud ou de piquette, voire de tisanes relevées d’eau-de-vie, quand on ne trouvait pas autre chose. L’intendance ne fournissait rien. Elle ne s’occupait pas des volontaires : ils n’appartenaient aux armées que pour recevoir des ordres et quinze sols par jour avec quoi ils devaient payer les vivres.
    « Mais c’est horriblement sauvage, ça ! se récria Lise, indignée.
    — Sans doute, répondit Bernard en riant. Seulement, c’est ainsi. Dans ces conditions je comprends un peu mes gaillards quand ils déclarent en avoir leur soûl et vouloir rentrer chez eux. Voilà notre souci, notre hantise, notre obsession de tous les instants : garder les hommes. Ah ! cela n’est pas commode, vraiment ! Il y a des jours où l’on ne saurait plus à quel saint se vouer. Il faut les occuper, les exhorter, les contenter sans cesse. Faute de quoi ils s’en vont.
    — Ils désertent ? dit Claude.
    — On ne peut pas appeler cela déserter : il n’y a pas de durée incluse dans notre engagement. Ils retournent dans leurs familles, et rien ne nous donne le droit de les retenir.
    — Il en est parti beaucoup ?
    — Dans certains bataillons, oui. Chez nous, très peu. D’ailleurs, l’hiver ne le leur permettait pas : de Villers-Cotterêts à la Haute-Vienne la route est longue, et par de telles rigueurs !… Mais depuis l’adoucissement, si Jourdan n’avait pas fait des prodiges, et tous les officiers leur possible, le bataillon ne se composerait plus que de nous avec quelques gradés.
    — Ne va-t-on pas vous renvoyer tous, puisqu’on vous a ramenés à Étampes ? demanda Lise. C’est le chemin de Limoges.
    — Certes ! Ça l’est même un peu trop. Je ne voudrais pas que nous y restions longtemps, car pour le coup ils vont s’envoler, nos moineaux. Non assurément, on ne nous renverra pas alors que la guerre est imminente, à en croire ce qu’on dit.
    — Oui, reconnut Claude en hochant la tête, cela ne tardera pas. C’est une sottise et un crime. Je me suis élevé là-contre de toutes mes forces, et n’ai point réussi.
    — Bah ! si nous ne la déclarons pas, les tyrans nous la déclareront. On voit bien que, de toute manière, il faut se battre. L’homme aux lunettes me l’avait laissé prévoir.
    — Mon cœur, dit Lise, si ce n’est pour vous renvoyer, pourquoi donc a-t-on fait descendre le bataillon jusqu’à Étampes ? Le sais-tu ?
    — Non, mais je sais en revanche qu’il ne faut chercher là aucune conséquence logique. Le militaire a des raisons que la raison ne connaît point. Peut-être cette promenade a-t-elle simplement pour but de vérifier jusqu’où ira la résistance de nos souliers. »
    Ils finissaient de souper, lorsque Danton survint. Il embrassa Lise sur les deux joues et lui remit un gros paquet enveloppé de papier bleu. « Tenez, charmante Lison, voilà ce que Gabrielle vous envoie. En échange, je viens vous demander une tasse de ce café que votre Margot fait si bien.
    — Du sucre ! Un demi-pain. C’est incroyable. Comment avez-vous pu en trouver ?
    — Bah ! bah ! ignorez-vous, belle dame, que je me vends à toute main : aux financiers, à Orléans, aux Feuillants, à la Cour, à l’Angleterre, que sais-je encore ! Aujourd’hui, je me suis vendu pour mon poids de sucre, voilà. Aussi sucré-je mes amis, afin de les

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