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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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s’enquérir, fût-ce seulement pour la forme, de la déchirure visible à la manche d’un uniforme neuf, et du bandage que l’on apercevait. Le colonel, dont Bernard ne dépendait point, avait posé la question en camarade. Le général, lui, fit mine de ne rien voir.
    Il était installé dans une chaumière. Sur la longue et lourde table paysanne, deux falots éclairaient une carte. Il ne daigna point la montrer, écouta froidement les rapports des deux officiers d’occasion, leur donna ses ordres pour le lendemain et les congédia en retenant le colonel. Bernard se souciait peu de cette humeur et de ce dédain, mais la faute militaire l’indigna. Quoi ! par mesquinerie, un homme responsable d’unités qui, demain ou après-demain, dans la bataille imminente, pouvaient se trouver isolées, n’hésitait pas à priver de renseignements sur le terrain, sur les lignes de marche ou de repli, les chefs de ces unités ! Comme si on se battait pour un profit personnel ! Les ci-devant de l’armée royale en restaient au temps de la courtisanerie, de ses rivalités, de ses intrigues. Dans la guerre, ils cherchaient des occasions de monter en grade. Certains, comme Dumouriez, se faisaient les courtisans des soldats. Mais tous, en vérité, les dédaignaient. Loin de penser à la nation, aux citoyens que le patriotisme seul amenait sous les drapeaux, à ces vies précieuses dont ils étaient comptables, ils ne songeaient égoïstement qu’à parvenir. Qui sait même s’ils ne se réjouissaient pas d’en faire tuer le plus possible, de ces patriotes, pour épuiser la force jacobine ?
    L’amour, l’amitié, avaient appris à Bernard l’importance d’un être, tout ce qu’il fait vivre et tout ce qui meurt avec lui. Plus il allait, plus il détestait la guerre. Il s’y appliquait pour la finir au plus tôt. Sa préoccupation, dans le commandement, était avant tout de ne jamais sacrifier un homme, de ne jamais risquer pour rien une vie. N’importe quelle offense personnelle l’eût laissé indifférent, en revanche il ne pouvait pardonner au brigadier de risquer, pour une piqûre d’amour-propre, la sécurité de deux bataillons. Aussi, à la chandelle, rédigea-t-il un bref rapport de l’affaire. Malinvaud le contresigna, et Bernard le cacheta pour l’expédier à Claude, qui le communiquerait aux Jacobins.
    La nuit fut sans histoire. Au lever du jour, ce lundi 5, il se mit à pleuvoir : une lourde pluie fouettante. Elle ne semblait pas devoir durer. On attendit. Effectivement, vers neuf heures on put faire mouvement sous un ciel presque dégagé. Après une demi-heure de marche, descendant à travers des herbages ras, on parvint à une mince et tortueuse rivière, plutôt un ruisseau semblable à l’Aurence qui avait, avec ses truites, attiré Bernard à Thias. Il ne vit pas sans nostalgie, ni sans que remuât en lui son instinct de pêcheur, cette eau courant entre des bouquets d’aulnes et par endroits, sous de hautes ramures de chênes. À quelque distance, elle se séparait en deux branches. La brigade elle aussi se divisa. Le bataillon belge fut détaché pour couvrir la gauche vers laquelle les plateaux tenus par l’ennemi s’avançaient en un long saillant. En même temps, le général envoyait à Bernard l’ordre de « reconnaître et occuper la chaussée de Maubeuge ». Dans quel but ? Mystère. Pourquoi occuper une route que seules des troupes françaises pouvaient emprunter ? Évidemment, Roustan se réservait l’avantage d’enlever lui-même le dernier des avant-postes autrichiens. Haussant les épaules, Bernard replia le papier, le glissa dans son gousset, sous le ceinturon, et obéit.
    On avançait depuis une vingtaine de minutes quand la fusillade commença. Se guidant au bruit, Bernard obliqua un peu pour gagner la route sans trop s’éloigner du régiment. Avec une vieille baderne comme Roustan, il aurait peut-être besoin d’un appui. Une fois la chaussée atteinte, on aperçut fort bien sur la gauche, à un quart de lieue au plus, le hameau objet de l’attaque. La fumée de la poudre formait des rubans étagés. On distinguait, sur les labours couleur chocolat, le carré blanc d’un bataillon en réserve, tandis que, plus avant, des flocons grisâtres situaient les tirailleurs. Le village, au bord de la route, devait être ce Siply dont parlaient les volontaires belges : le point extrême du dispositif défendant Mons, de la route de Valenciennes à celle de

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