Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
rivière, cet éperon se couronna de fumée. Le formidable grondement d’une salve de 24 emplit toute la vallée tandis que les boulets effondraient net le petit pont, couvrant de terre et de pierres arrachées aux berges les premiers rangs français. Les pièces devaient être pointées et réglées depuis longtemps pour atteindre du premier coup à une telle précision. Bon, inutile d’insister. On savait à présent où commençait ici la ligne de résistance autrichienne. L’avant-garde se replia sur les volontaires. Les tambours répétèrent de proche en proche l’ordre de rompre les rangs et de former les faisceaux. Derrière un rideau de grand-gardes, les deux brigades prirent position de repos. Des officiers partaient à la recherche du général Beurnonville pour lui annoncer que la mission était accomplie, lui rendre compte de l’emplacement occupé par l’ennemi et l’avertir que les deux mille trois cents hommes envoyés de Maubeuge pour renforcer le corps d’armée venaient de rejoindre. Les munitionnaires distribuèrent les vivres. On mangea et l’on attendit.
    Bernard et Jourdan causaient. « Tu ne sais pas que je suis allé à Limoges, dit Jean-Baptiste. Oui, à Maubeuge j’ai obtenu un congé pour embrasser ma femme et mes filles. J’ai vu ta sœur, ton beau-frère. Le commerce ne marche pas fort. Léonarde en rend responsable l’état de choses. Elle tourne de plus en plus aux idées de ton père, elle a pris en grippe les Jacobins, elle les brocarde et embarrasse ce pauvre Montégut tiraillé entre eux et elle. Au club, on l’accuse de tiédeur. Il est bien flottant, je l’avoue. Si je ne le connaissais à fond, j’aurais des doutes sur son patriotisme. Tu devrais, quand tu écriras à ta sœur, la mettre en garde. Elle, ton père, ton frère Marcellin ne se rendent pas compte que tu sers de paratonnerre à la famille. N’était la considération que l’on a pour toi, ils seraient depuis longtemps sous surveillance, avec les Naurissane, les Pétiniaud-Beaupeyrat, les Mailhard et autres aristocrates. » Bernard soupira. « Tu touches là une vieille plaie, dit-il. La Révolution a bouleversé l’âme de Léonarde. Elle a, comme mon père, un caractère entier, et Jean-Baptiste est trop faible pour agir sur elle. Dans mes lettres, je m’efforce toujours de la raisonner, de la convaincre. Mais depuis que j’ai quitté Sainte-Menehould, rien ne m’arrive de Limoges. Enfin, la guerre va se terminer. Avec la victoire, tout s’arrangera. » Il fit part à Jourdan de ce qu’il croyait savoir sur le front autrichien. « La grande bataille ne saurait tarder à présent, et nous la gagnerons, j’en suis sûr. »
    Jusqu’à trois heures de relevée, il ne se passa rien. On entendait par moment des bruits lointains de canonnade. Ils arrivaient de l’autre extrémité du front, de Quaregnon peut-être, qui se trouvait à environ deux lieues. Puis les officiers d’état-major envoyés au quartier général revinrent, ramenant les détachements qu’on avait laissés dans les petits postes. Toute la division suivait, et, derrière elle, tout le corps d’armée Beurnonville. Au jour tombant, la vaste cuvette comprise entre le ressaut de Frameries, le plateau de Siply et les hauteurs de Berthaimont, se remplit d’une masse d’uniformes, de drapeaux, de chevaux, de voitures, de trains d’artillerie. Sapeurs la hache sur l’épaule, grenadiers avec leur bonnet d’ourson, fusiliers au casque de cuir à chenille, chasseurs, voltigeurs armés à la légère, et la cavalerie : gendarmes, carabiniers, cuirassiers, dragons verts, hussards gris, coiffés de leur talpack en tronc de cône, entouré d’une torsade, artilleurs casqués d’acier sous le plumet rouge, l’aiguillette de coton écarlate pendant autour de l’épaule gauche, envahirent de leur fourmillement et de leur rumeur ces bas-fonds jusqu’alors silencieux et déserts. Les aides de camp dirigeaient les régiments, les bataillons, les escadrons, les batteries sur les positions de départ, au pied des plateaux du nord ou sur leurs premières pentes, à juste distance des lisières ennemies qui s’estompaient dans la brume. Le soleil, pourpre, sans rayons, sombrait rapidement. On entendait toujours le canon de ce côté. On avait appris que Quaregnon, fortifié et bien défendu, continuait de tenir.
    À cinq heures, dans la grisaille humide du crépuscule, tout le corps Beurnonville se trouva rangé en longues masses

Weitere Kostenlose Bücher