Les autels de la peur
Maubeuge. À cette extrémité du verrou, Siply couvrait Berthaimont, comme, à l’autre, Boussu et Quaregnon couvraient Jemmapes. Le général était imprudent d’attaquer avec un seul régiment, diminué des sections et compagnies qu’il avait laissées, la veille, dans les positions conquises. Les Autrichiens n’abandonneraient pas Siply comme ils avaient cédé les postes de la plaine. Sans doute allaient-ils résister ici autant qu’à Boussu.
Au milieu de ces réflexions, Bernard s’entendit appeler par Malinvaud. « Regarde là-bas. » À droite, sur la chaussée, une forte colonne française s’avançait en formation de marche, avec ses drapeaux déployés. À mesure qu’elle approchait, on vit un état-major chevauchant en tête, et derrière on put compter quatre drapeaux colonels. C’était donc une brigade. Un officier d’ordonnance poussa son cheval, galopa vers Bernard auquel, après s’être présenté, il demanda des renseignements sur la situation. Quand il les eut rapportés à son chef, celui-ci arrêta les troupes, puis vint lui-même au trot avec ses officiers. Bernard s’était, avancé, suivi de Malinvaud. Ils se raidirent au garde à vous. Le général, leur rendant le salut, leur dit : « Vous êtes donc, messieurs, du corps d’armée Beurnonville. » Bernard confirma. Le brigadier leur apprit qu’il venait de Maubeuge à la demande du général Dumouriez pour renforcer leur corps. « Mais que fait-on là-bas ? » ajouta-t-il. Bernard le lui expliqua. Le général résolut aussitôt d’y aller avec le régiment. Sur ses ordres, les bataillons déboîtèrent. Le régiment blanc se déploya et partit, tandis que les uniformes bleus, opérant un à gauche, se rangeaient côte à côte avec les volontaires de Bernard. Il retint mal une exclamation. Malinvaud et lui échangèrent un regard joyeux. Dans les compagnies les plus proches, ils venaient de reconnaître leurs amis quittés depuis deux mois. C’était le 2 e bataillon de la Haute-Vienne. Jourdan, Dalesme eux aussi avaient identifié Bernard et Malinvaud. Sitôt l’évolution terminée, Jourdan lança : « Rompez les rangs. » Les volontaires du Nord virent avec stupeur leur lieutenant-colonel et le capitaine-major assaillis par les nouveaux venus, dans un tumulte d’allégresse. Les Limousins n’avaient pas oublié leurs camarades, on avait eu de leurs nouvelles par les Jacobins de Limoges. On était heureux de les retrouver couverts de gloire et surtout bien vivants.
« Par miracle, se récria Malinvaud. Savez-vous que notre Bernard a reçu une balle dans son chapeau ? Et hier il a été touché au bras.
— Bah ! une égratignure. Ça ne me cuit même plus.
— Monsieur avait peur de ne pas être bon militaire, dit Jourdan avec une affectueuse ironie. Te rappelles-tu la figure d’enterrement que tu faisais le soir où tu as signé le registre ? Et pour ton coup d’essai tu t’en vas battre les vieux soldats de Frédéric, tu leur prends un drapeau.
— C’est ancien, ça, mes amis, dit Malinvaud. Avant-hier, il a enlevé un village aux Autrichiens, rien qu’avec le bataillon. »
Bernard protesta, mettant le succès au compte de l’artillerie. « Maintenant, observa Jourdan, c’est à toi de me donner des leçons. Nous autres n’avons même pas vu le feu. » Le 2 e bataillon de la Haute-Vienne était resté à Pont-de-Sambre. Dirigé sur Maubeuge la veille de Valmy, il n’avait plus bougé depuis lors. « Oh ! bien à présent vous pouvez être tranquilles, fit Malinvaud narquois. Si vous n’avez jamais entendu siffler les balles et ronfler les boulets, vous ne tarderez pas à en apprendre la musique. »
Ces propos furent interrompus par deux aides de camp qui arrivaient au galop sur la chaussée. Les Limousins reprirent rapidement leurs rangs. Le combat autour de Siply était terminé. En voyant avancer un second régiment, les Autrichiens avaient évacué le village. Les deux généraux rappelaient les volontaires. On marcha donc vers le hameau, on le dépassa. L’avant-garde avançait au long de la route légèrement descendante jusqu’à la petite rivière rencontrée plus loin dans son cours quand on était venu de Frameries. De l’autre côté, la chaussée remontait vers les hauts plateaux sur lesquels devait se trouver Berthaimont. Ils s’étageaient en plusieurs ressauts dont les premiers formaient éperon. Comme les deux régiments allaient atteindre la
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