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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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livrer des batailles. Mais Bernard sentait bien qu’on ne les ménageait point par respect d’un contrat. Il le dit à Jourdan quand ils eurent rangé chacun leur bataillon.
    « Les généraux sont tous pareils : tous des ci-devant. Ils se font un jabot de leur brevet, ces dindons, et ils nous méprisent. Malinvaud et moi nous avons dénoncé à Mounier-Dupré l’orgueil égoïste de notre brigadier. Le tien me semble du même calibre. Harville lui-même serait au plus un colonel passable. C’est malheureux d’être commandé par des médiocres, sinon des suspects, car enfin je trouve étrange que l’on ait laissé l’armée prussienne rentrer chez elle en se bornant à l’asticoter, quand on pouvait la tailler en pièces. Mon ami, tous les généraux devraient être jacobins, ou bien avoir près d’eux constamment un Jacobin pour les surveiller. Heureusement, la guerre va finir. Sans quoi, il faudrait prendre cette mesure. »
    Le lieutenant-colonel belge rejoignit à ce moment Jourdan et Bernard. Les trois bataillons, formés par colonnes de compagnies, s’échelonnaient à bref intervalle, au plus creux de la vallée. On ne voyait rien d’autre que, en avant sur la droite, les voitures de la division qui masquaient ses derniers rangs. La colline de Frameries, avec son village à peu près intact, coupait la vue à gauche. Et, droit devant, les branchages des arbres bordant le ruisseau formaient comme une fumée brune à travers laquelle on ne distinguait pas grand-chose. On entendait le canon, au loin, et un peu plus près, du côté de Berthaimont ou de Cuesmes. Beurnonville donnait sans doute l’assaut à ces hauteurs. Le feu devenait de plus en plus soutenu, et parfois la brise, qui soufflait du nord, apportait sous le ciel sale, avec des traînées rousses, une odeur de poudre.
    « Je n’ai point la passion de me battre, dit Bernard, mais c’est irritant de ne rien savoir ! » À quoi Jourdan répondit : « La patience est la première vertu du soldat. » L’officier belge raconta que la veille, quand ils avaient été détachés à gauche, ils avaient remarqué sur les ressauts du sol tout un système de retranchements établis au-dessous de Berthaimont, de Cuesmes. Il devait se prolonger jusque devant Jemmapes. C’était des redoutes, faites de gabions, de troncs d’arbres, et reliées par des abattis. Le terrain, expliqua le Belge, formait là des espèce de vastes gradins couverts de ces défenses. Au-dessus encore s’élevaient Jemmapes et Cuesmes, certainement fortifiés par le génie autrichien. Derrière ces villages, l’Haine étalait ses bras marécageux, interdisant toute prise à revers. Ainsi, les divisions qui donnaient l’assaut en partant de la plaine avaient à gravir ces étages sous une grêle de fonte et de plomb. Il leur fallait conquérir chaque gradin, puis le nettoyer à la baïonnette sous le feu du gradin suivant. « Eh bien, dit Jourdan, les pauvres bougres ! Je préfère notre place à la leur. »
    Bernard domptait mal sa nervosité. À Valmy, sans participer réellement à la bataille, du moins y avait-il assisté. On voyait, on savait ce qui était en train. Ici, rien ne permettait seulement de l’imaginer. Perdait-on, gagnait-on la bataille ? Le bruit n’était qu’un grondement à distance, il ne couvrait même pas le babil du ruisseau. L’ébranlement du sol affolait les lapins chassés de leurs terriers. Soudain la terre vibra plus fort, martelée par mille sabots. Une brigade de grosse cavalerie sortit au trot du saillant de Frameries et disparut derrière celui d’en face. Commençait-on à faire donner les réserves ? Il était onze heures passées. L’agitation de l’air dissipait les nuages, le soleil paraissait. Un instant plus tard, à la division les tambours battirent, les trompettes de la cavalerie sonnèrent la marche. Bientôt le dernier rang des voitures avança. Aucun ordre spécial n’ayant été donné, les volontaires suivirent dans la disposition où ils se trouvaient.
    Une fois d’plus on remonta vers la chaussée de Maubeuge, sur laquelle la tête de la division déboucha en avant du pont détruit. Elle marchait à l’éperon nettoyé maintenant des Autrichiens, on gravit la pente et fit halte. Le bataillon belge, celui de Bernard, et le 2 e de la Haute-Vienne, toujours en échelons décrochés, s’arrêtèrent au milieu d’un champ de carnage. Des files entières de morts français, voltigeurs et fusiliers,

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