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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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participé au siège de Namur où ils avaient retrouvé le 1 er  bataillon de la Haute-Vienne. Depuis un mois, ils étaient là, en quartier d’hiver, au bord du fleuve, ne faisant rien. Cela recommençait comme à Soissons, l’année dernière. L’armée, livrée à elle-même, mal payée, mal vêtue, se désagrégeait. La patrie n’étant plus en danger, les volontaires partaient en masse pour rentrer chez eux. Déçu dans ses espoirs de paix, dégoûté de ces généraux qui ne voulaient pas remporter de vraies victoires, excédé de cette inaction et de cette anarchie renaissante, en outre tracassé par les nouvelles qu’il recevait du Limousin, Bernard, laissant à Malinvaud le soin du bataillon plus réduit chaque jour, avait demandé un congé.
    En débarquant place des Victoires, il trouva la ville morne et comme plongée dans une espèce de stupeur. Au dernier relais, il avait appris la fin du ci-devant roi. Elle le laissait indifférent. Depuis Valmy, il avait vu tomber trop d’hommes, couru lui-même trop de périls, pour s’intéresser à la vie ou à la mort d’un personnage qu’il estimait responsable de ces hécatombes. Et puis il était tout à l’impatience, au bonheur de revoir Lise. En ce moment, rien d’autre ne comptait pour lui.
    Quand la grosse servante lui ouvrit la porte, avec une figure d’enterrement, des yeux rouges, il fut stupéfait. Saisi soudain par la pire crainte, il lui fallut prendre son souffle pour demander : « Eh bien, Margot, qu’y a-t-il ? » Elle le reconnut alors, fondit en larmes tout en clamant : « Le capitaine ! C’est le capitaine Delmay !
    — Bernard ! » s’écria Lise en s’élançant. Il la reçut, la serra contre lui. « Oh ! mon cœur, c’est toi ! Oh ! Bernard ! » Elle l’embrassait et s’abandonna tout en pleurs.
    « Mais enfin, qu’est-ce donc ? dit-il à Claude qui l’étreignait à son tour.
    — Rien de grave, mon ami. Nous venons de vivre des heures pénibles à tous égards. La seule joie que nous soyons capables de ressentir maintenant, tu nous la donnes.
    — On veut me le tuer, gémit Lise. Tu le protégeras, toi qui sais te battre !
    — Te le tuer ! Qui ?
    — Claude. Des assassins.
    — Voyons, voyons ! dit-il doucement, calme-toi, mon poulet. »
    En deux mots, il mit Bernard au courant et ajouta : « Le meurtrier, on le sait à présent, est un ancien garde du corps, un nommé de Pâris. Il voulait punir Égalité de son vote atroce. Ne le rencontrant pas, il a frappé Saint-Fargeau parce que Saint-Fargeau, après avoir, sous la monarchie, reçu toutes les faveurs du roi, s’est montré des plus acharnés à le faire mourir. Il n’y a pas de conjuration là-dedans. Je ne cours aucun risque. »
    Lise s’était assise sur le canapé, appuyée à l’épaule de son mari et tenant la main de Bernard. Il les regardait, le cœur serré. Il semblait y avoir en eux quelque chose de brisé, une sorte d’anéantissement. La vue de Lise, les lèvres pâles, des cernes nacrés sous les paupières, le teint flétri ; de Claude, maigri par les repas de hasard, les yeux brûlés par le manque de sommeil, les tempes creuses, emplissait Bernard d’une sourde angoisse au lieu de la joie qu’il attendait. Il ne savait pas que leur dernière nuit blanche, après tant d’autres et tant d’inquiétudes, achevait de les rompre, que la nervosité de Lise provenait seulement de sa fatigue, et qu’un peu de repos les rendrait à eux-mêmes. En revanche, il sentait obscurément dans l’identité de leur état la preuve d’une union très intime : ils étaient vraiment deux en une seule chair. Deux. Le couple s’était fermé sur lui-même. La présence et l’absence avaient donné leur fruit. Le premier amour avait été tenace et long, long à mourir. Maintenant il n’en restait rien, sinon les habitudes de l’affection.
    Ce ne fut point par dépit que Bernard prit dès le lendemain matin la poste pour Limoges. Seul dans la rotonde de la diligence où la buée, brouillant les vitres, laissait à peine entrevoir la campagne blanche de givre, les pieds au chaud dans la couche de paille répandue sur le plancher, il songeait à eux trois. Il regrettait nostalgiquement certaines heures éblouies ou déchirées, des exaltations et des tourments. Il ne regrettait point d’avoir agi comme il l’avait fait. Tirant de sa poitrine la miniature de Lise, qui ne le quittait jamais, il lui sourit.
    Le vendredi,

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