Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
Bernard, lui ouvrit la porte, sur le perron, et appela : « Eh ! Manon ! » Dans le vestibule aux nobles boiseries, plus de laquais en livrée bleue galonnée d’argent. Bernard vit avec surprise arriver Manon Poinsaud, son ancienne danseuse du Tonneau du Naveix : la tendre et plantureuse blonde. « Ma belle Manon ! s’exclama-t-il. Mais que fais-tu là ? » Elle prit un air malicieusement imposant.
    « Mon officier, je suis commise par la section à la surveillance des deux suspectes. C’est pour elles ou pour moi que tu viens ?
    — Quant à toi, nous en reparlerons. Je me sens très suspect depuis une minute, il faudra nécessairement que tu me gardes à vue dans ma chambre. Pour l’instant, je te prie, ma belle, de demander à la citoyenne s’il lui plaît de me recevoir.
    — Oh ! pas tant de manières ! Viens donc, elle est là et elle sera bien trop contente », dit Manon en ouvrant la porte du salon de musique.
    On avait fermé le jardin d’hiver sur ses plantes mortes. Derrière le vitrage, les feuilles recroquevillées jonchaient le sol. Les bouches de chaleur ne chauffaient plus. Dans la vaste pièce en rotonde aux sièges recouverts de housses, au clavecin et au piano-forte muets, des paravents formaient autour de la cheminée un réduit où se tenaient Thérèse et sa sœur : la ci-devant religieuse du Calvaire. Elle cousait. Thérèse travaillait à une tapisserie. Elle la quitta, s’avança vivement avec un air d’heureuse surprise. « Par exemple ! Bernard Delmay ! » Elle lui tendit les deux mains et ajouta en le regardant : « Notre magnifique Bernard ! » Puis elle partit à rire de l’air qu’il avait. « Ne faites pas cette mine, mon cher. Vous voyez simplement le résultat des mirifiques idées de mon beau-frère et de vos amis. Mais je ne suis pas à plaindre, les épreuves ont des avantages. J’y apprends la patience, je sais que tout cela changera, un jour. » Elle était en blanc, les cheveux sans poudre, châtain doré. Elle n’avait rien perdu de son éclat charnel. Les fines rides qui commençaient à griffer le coin de ses yeux, l’amorce d’un empâtement sous le menton, la rendaient seulement plus émouvante.
    Dans la diligence, il se la rappelait ainsi, inchangée au milieu d’une décadence par laquelle elle ne se laissait pas atteindre. Toujours aussi ardente, mais plus souple, mûrie à tous égards, et si fémininement heureuse de voir durer entre eux cette complaisance physique qu’ils avaient toujours ressentie l’un pour l’autre sans avoir jamais eu, ni l’un ni l’autre, la moindre pensée de s’y abandonner. Au dernier moment, Thérèse avait dit une chose stupéfiante : « Annoncez à Lise et à mon beau-frère que je me prépare à divorcer. Cela les amusera beaucoup, je gage. »
    Effectivement, lorsque, de retour à Paris, il leur transmit la nouvelle, ils en apprécièrent toute l’ironie. Claude avait voulu cette institution pour en faire bénéficier Lise ; et Thérèse, que l’idée du divorce exaspérait, y recourait maintenant. « Par pure feinte, expliqua Claude. C’est un moyen de conservation, pour empêcher le séquestre des biens. Divorcée, Thérèse se trouvera administratrice de sa fortune personnelle et de sa part dans la communauté. À ses yeux, un acte civil n’a aucun effet sur le sacrement du mariage. Rien n’est donc changé dans son union avec Louis. Je ne sais qui lui a conseillé ce stratagème, il est adroit.
    — Ne serait-ce pas Guillaume Dulimbert ? dit Bernard. Cela ne m’étonnerait point. C’est vraiment un personnage très étrange. J’ai passé plusieurs fois de longues heures avec lui. Il ne se livre pas, bien entendu, mais il a certaines façons de se laisser deviner, quand il le veut. » Bernard se tourna vers Lise, et, souriant : « Je le crois amoureux de toi. Enfin, c’est une manière de parler, mon amie.
    — Nous nous sommes à peine vus !
    — Cela aura suffi, sans doute. T’imagines-tu qu’il soit besoin de te voir longtemps ?
    — Tu as raison, dit Claude. Seulement c’est présenter d’une façon bien grossière – excuse le mot – quelque chose de très délicat, de très compliqué. J’y ai songé souvent. Dans des circonstances particulières, Lise, je crois, l’a frappé comme une sorte d’apparition. Au fond, c’est un mystique. Et elle a incarné tout ce qu’il gardait en lui d’idéalisme déçu par la religion, mal satisfait par la

Weitere Kostenlose Bücher