Les autels de la peur
Louis ? En réalité, il ne discutait pas. Ni lui ni les Sanson ne répondaient au roi qui leur recommandait son confesseur. Cela ne dura qu’une minute. Les bourreaux s’avancèrent pour le déshabiller, on le vit les écarter rudement. Il ôta lui-même son chapeau, son habit, défit son col, ouvrit sa chemise. Il s’agenouilla aux pieds du prêtre qui le bénit. Comme il se relevait, il y eut un mouvement confus ; les aides en tablier de cuir entouraient le condamné, lequel avait l’air de se débattre au milieu d’eux et de leur tenir tête. « Il ne veut pas se laisser lier, parbleu ! » s’exclama Françoise. Un instant, on crut qu’il allait lutter avec les exécuteurs. Tout à coup, il se soumit. L’abbé Edgeworth venait de lui murmurer : « Acceptez ce sacrifice, Sire. Ce nouvel outrage est un dernier trait de ressemblance entre Votre Majesté et le Dieu qui va être sa récompense. – C’est bon, avait-il dit alors aux valets. Faites ce que vous voudrez. Je boirai le calice jusqu’à la lie. » Ils lui attachèrent les poignets derrière le dos avec un mouchoir. Sanson lui coupa les cheveux.
Tandis que, gêné par la position de ses bras, et soutenu par le prêtre, il gravissait péniblement les degrés de l’échafaud, les battements lugubres des tambours l’accompagnaient. Sur la plate-forme, il parut à la vue de tous, définitivement humilié dans sa personne, avec cette figure aux cheveux courts, dans laquelle le nez avait pris une proéminence caricaturale. Mais l’âme avait grandi. Avec une énergie souveraine, quittant son confesseur et s’avançant rapidement au bord de l’échafaud vers les Tuileries, il parla.
Surpris, les tambours s’arrêtèrent. Nicolas était trop loin pour comprendre. Seuls, les soldats postés ici et les premiers rangs de sans-culottes entendirent. «… je suis innocent des crimes que l’on m’impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort et je prie Dieu que mon sang ne retombe jamais sur la France…» Déjà le comte de Beaufranchet, vivement, avait crié aux tambours de battre. Leur roulement couvrit la voix du condamné. Les quatre aides le saisissaient, le sanglaient aux reins et aux jambes. Les spectateurs du premier rang pouvaient voir son visage devenu jaune comme un coing. Ses yeux avaient un regard effrayant. En un éclair, il bascula avec la planche, son cou porta dans le croissant, Sanson rabattit l’autre, Louis poussa un cri affreux que la chute du couteau étouffa en emportant la tête.
Elle ne se détacha pas entièrement. Sanson dut peser sur le triangle pour finir de la séparer du corps. Le cou, trop gras, s’était mal engagé entre les deux croissants de la lunette, et le couperet avait atteint non pas la nuque mais l’occiput. Quand l’aide du bourreau, saisissant la tête par les cheveux, la sortit du sac pour la montrer aux spectateurs, on vit que la mâchoire inférieure était horriblement coupée. Le sang coulait encore, inondant le devant de l’échafaud. Des fédérés, des sans-culottes l’escaladèrent afin de mouiller la pointe de leur pique, leur sabre, dans cette flaque, tandis que des royalistes y trempaient des mouchoirs, des papiers, pour en faire des reliques. La cavalerie agitait casques et chapeaux en clamant : « Vive la nation ! » Les aides de Sanson avaient débouclé les sangles, poussé le corps dans le panier. À dix heures vingt-deux, les salves d’artillerie commencèrent de retentir, annonçant jusqu’aux lointains faubourgs que le dernier roi n’existait plus. Alors seulement, aux Jacobins Saint-Just leva la séance.
Nicolas Vinchon avait le deuil au cœur. Il n’était pourtant pas bouleversé comme au jour des massacres. L’exécution semblait si simple, si rapide, si mécanique ! On ne sentait pas la tragédie. L’événement était plus impressionnant que l’acte lui-même. Dans la tristesse de Nicolas, il y avait comme une sorte de soulagement.
Les spectateurs de la terrasse sortaient par le cul-de-sac de l’Orangerie pour badauder sur la place. Le petit mercier les suivit et perdit Françoise Miallon dans la foule qui s’agglutinait au pied de la guillotine. C’était une frénésie : des patriotes, citoyens et citoyennes, chantaient, dansaient en agitant des chiffons sanglants que des étrangers, des Anglais surtout, leur achetaient à prix d’or. Un garçon mettait à l’encan une mèche de cheveux arrachée par la lunette. On se disputait le ruban du catogan,
Weitere Kostenlose Bücher