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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Duplay les avait invités, Claude, Lise et lui. Il y avait là Augustin, Le Bas visiblement épris d’Élisabeth : la fille cadette de leur hôte, et son neveu : Simon Duplay, auquel manquait la jambe gauche brisée par un boulet à Valmy. Desmoulins, Legendre, Couthon, David, fougueux jacobin en dépit de ses quarante-cinq ans, étaient venus après le souper. La brune Éléonore, qui semblait avoir remplacé dans l’affection de Maximilien la petite belle-sœur de Camille, montrait au peintre des esquisses rapportées du cours de son rival en célébrité : Regnault. Saint-Just accoudé au clavecin où Buonarroti venait de jouer une romance italienne, et Robespierre qui se chauffait en caressant son chien danois : Brount, écoutaient Bernard parler avec Simon. Eux seuls, ici, connaissaient les réalités de la guerre, et ce jeune homme mal habitué encore à sa jambe de bois réveillait en Bernard la colère contre l’inconséquence des généraux.
    « Tu vois ce que je te disais, citoyen, fit-il en se tournant vers Saint-Just. Pour quelle fin ce brave soldat a-t-il perdu un membre ? Pour que le roi de Prusse ramène tranquillement son armée chez lui ! De grandes vues diplomatiques exigeaient peut-être ces ménagements. J’y consens, encore que les résultats n’en aient point paru. Mais à Jemmapes, fallait-il faire tuer ou mutiler des milliers d’hommes, pour négliger la dernière phase de la bataille, celle qui devait produire l’anéantissement ou la capitulation de l’armée autrichienne ! Pas un ennemi n’en eût réchappé. Imaginez-vous Clerfayt et l’archiduc captifs aujourd’hui en France, l’Autriche privée de ses deux meilleurs généraux. Cela n’était pas seulement possible mais facile. »
    Il dépeignit rapidement la situation des réserves, la nullité d’Harville, incapable de fermer le verrou qu’un enfant aurait su pousser.
    « Et toi, demanda Saint-Just, qu’aurais-tu fait à sa place ?
    — Moi ou n’importe qui, sachant, comme il le savait, que nous étions là pour couper la retraite aux Autrichiens, nous aurions marché au canon en suivant la bataille. Nous n’en serions pas restés toute la matinée à plus de deux lieues. Il suffisait de se couvrir sur les ailes et de s’éclairer par la cavalerie. C’est enfantin. Une fois sur le plateau, voyant les fumées de l’ennemi rétrograder vers Mons, nous nous serions empressés de bloquer cette issue, au lieu d’attendre que le général en chef songe à nous en prier. Il fallait être bien imbécile pour supposer qu’il pût y avoir autre chose à faire des troupes. À force de gagner des batailles à la façon de Dumouriez et de ses généraux, nous finirons par perdre la guerre.
    — Mais, dit Legendre, ne pouviez-vous pas, toi citoyen, et cet ami Jourdan dont tu nous parles, intervenir auprès de votre chef ? Les colonels, il me semble, ont part aux délibérations de l’état-major.
    — De la brigade, oui, dans le principe. J’ignore si Roustan a jamais consulté les siens. Nous, si l’on nous convoque, c’est pour nous donner des ordres, rien de plus, pas même un renseignement sur la configuration du terrain.
    — Bernard m’a écrit là-dessus, je vous ai signalé la chose, rappela Claude. Elle n’a pas retenu votre attention.
    — Nous ne sommes pas des officiers de ligne, nous, reprit Bernard. On ne nous estime pas capables de réfléchir. Du reste, nous ne sommes pas des colonels, citoyen Legendre, nous sommes de vulgaires chefs de bataillon, menant au combat des boutiquiers, des savetiers, des tailleurs de pierres, des paysans, tous prêts à détaler comme des lapins dès le premier coup de fusil. Tout le monde sait cela. N’empêche, sacré nom ! qu’un bataillon de ces courtauds commandés par un apprenti mercier a tout de même, sous Sainte-Menehould, anéanti un bataillon des fameux soldats de Frédéric, fait cent cinquante prisonniers, ramené au camp trois canons et le premier drapeau enlevé aux Prussiens. Et l’avant-veille de Jemmapes, MM. les officiers de ligne, qui avaient mené deux colonnes au massacre sans pouvoir prendre Boussu, n’ont-ils pas été contents d’avoir ce même bataillon pour s’emparer du village ! Sans perdre un homme. Un lobe d’oreille emporté : c’est ce que nous a coûté Boussu, à nous. Les boutiquiers sont économes. Mais ce fut un succès absolument affreux, hérétique, l’abomination des abominations, pour l’état-major.

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