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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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la barre de la Convention pour y recevoir ton dû. »
    Bernard eut beau protester, il fallut en passer par là, y mettre même de la bonne grâce. Ses « frères et amis » n’entendaient pas qu’il en fût autrement. En effet, ce n’était pas en vue de sa seule gloire que les Montagnards récemment introduits au Comité de défense : une des forteresses brissotines, avaient déployé tant d’empressement pour éclaircir son cas. Cette affaire fournissait à la Société, juste à point, l’occasion de prouver son zèle démocratique. Tant qu’ils tenaient le comité, les Girondins, ces intrigants, s’étaient bien gardés de dire que le premier drapeau pris à l’ennemi l’avait été par des soldats populaires. La Montagne, accédant au pouvoir, faisait aussitôt rendre justice aux modestes héros.
    Au demeurant, la cérémonie fut simple, fort digne en dépit de l’arrière-pensée démagogique. Bernard n’eut point de peine à entrer dans son rôle. Reçu à l’entrée de la Carrière par le poste au complet qui lui rendit les honneurs, il fut conduit, par l’officier de jour et quatre grenadiers, à la salle des conférences. Santerre et Beaufranchet, en personne, l’y attendaient et le menèrent à la barre comme ils y avaient mené Louis XVI, avec cette différence que la porte lui fut ouverte à deux battants. Ils se tinrent derrière lui de chaque côté tandis qu’il s’avançait jusqu’à l’appui. On y avait disposé le drapeau prussien déchiré par plusieurs balles. Il drapait de sa soie la tablette, sur laquelle reposait un sabre au pommeau et aux garnitures dorés. Bernard portait encore son uniforme défraîchi, avec une longue reprise à la manche gauche. Pas d’épée ni de ceinturon. Athlétique et svelte tout ensemble, avec sa large poitrine, son visage aux traits fermes, hâlé, encadré réglementairement par les deux mèches pendant sur les oreilles tandis que le reste des cheveux étaient serrés dans le ruban de queue, il offrait aux regards des députés, des loges et des tribunes, un type magnifique de soldat. D’une inclination de la tête, il salua respectueusement le président qui, se levant, annonça au public : « La Convention reçoit à sa barre le citoyen Bernard Delmay auquel elle doit le premier étendard ennemi qui ait décoré cette voûte. » Il se rassit et ajouta : « La parole est au citoyen Mounier-Dupré. »
    Sobrement, avec une émotion contenue, Claude dit tout d’abord quels liens l’unissaient à Bernard, puis comment celui-ci, destiné par son ascendance et ses goûts à devenir un modeste commerçant dans un faubourg de Limoges, avait pris les armes pour défendre sa ville, au moment de la Grande Peur, comment il avait ensuite acquis dans la garde nationale les premiers grades, avec une solide formation militaire, et s’était enrôlé parmi les volontaires de 91 avec ses aînés Jourdan, Dalesme, sacrifiant à grand chagrin sa chère vocation afin de répondre à l’appel de la patrie. Claude n’omit point de signaler les efforts accomplis par les officiers de la Haute-Vienne, à Villers-Cotterêts, pendant l’hiver de 9192. « Quand il n’y a, pour retenir les soldats au milieu des privations de toutes sortes, d’autres ressources que l’exemple et la force de persuasion provenant d’une conviction profonde, le résultat permet de juger les chefs. » Ces vertus, Bernard en donnait une nouvelle preuve lorsque, détaché de son dépôt, chargé d’instruire des recrues et de les conduire, avec les troupes amenées par Beurnonville à Dumouriez, il présentait au général en chef, à Sainte-Menehould, une troupe d’élite. Après avoir montré ainsi ses qualités d’instructeur et d’organisateur militaire, il allait, avec cette troupe, révéler un merveilleux instinct de tacticien. Claude dépeignit alors rapidement, d’après les rapports de la division, le combat d’Auve qui avait coûté à un bataillon prussien la perte de son drapeau colonel, de ses canons et de la plus grande partie de son effectif ; puis l’attaque de Boussu, par laquelle « le lieutenant-colonel Delmay, sans perdre un seul homme, ouvrit à l’armée l’accès de Jemmapes. Voilà l’officier que nous glorifions aujourd’hui, conclut Claude. Nous n’honorons pas seulement en lui le combattant victorieux, mais le citoyen qui, non moins pénétré du sentiment de la fraternité que de celui de la liberté, s’est montré avare du sang

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