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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Rhin et au-delà, après que nos ennemis de l’intérieur auront été réduits à l’impuissance, eh bien nous serons vaincus. »
    C’était à peu de choses près ce qu’il avait annoncé, la veille, aux Jacobins.
    « Tu as probablement raison, répliqua Bernard avec calme. Mais moi je te dis, mon cher Claude : des hommes comme Jourdan, comme Dalesme, comme la plupart de mes camarades volontaires ne se sont pas résolus à tout quitter pour en arriver à tout perdre. Crois-moi, si nous ne sommes nullement des foudres de guerre, nous ne sommes pas davantage du bois dont on fait les vaincus. D’une façon ou d’une autre, il faudra bien que nous finissions par gagner la partie. Je ne sais comment, mais Jourdan a eu, peu avant notre départ de Limoges, un certain mot. « Nous improviserons », a-t-il dit. Depuis six mois, lui et nous tous avons pris suffisamment cette habitude pour croire fermement aujourd’hui qu’à force d’improviser nous remporterons les victoires nécessaires.
    — Bernard, s’écria Lise, les yeux humides. Ce qu’il y a de plus admirable, c’est que tu ne vois pas combien tu l’es.
    — En effet, approuva Dubon. Vous montrez la tranquille détermination d’un Léonidas, capitaine.
    — Mais non, mais non. J’ai dit ça simplement pour expliquer à Claude que l’on peut compter sur une bonne partie des volontaires, voilà tout.
    — Et je te crois, Bernard, mon frère. Je ne suis pas le seul, du reste. Danton t’a déclaré qu’il n’a confiance qu’en vous. La vérité, c’est cela : vous êtes nos seuls défenseurs, le salut de la patrie, de la Révolution, repose dans vos mains.
    — Je l’y trouve fort bien placé, dit Dubon. Soyez sûr que, de notre côté, nous ferons ici tout ce qu’il faudra pour vous soutenir et pour déjouer les manœuvres de la Cour, dont la traîtrise est à présent certaine. Nous ne vous laisserons pas poignarder dans le dos par les ennemis du dedans.
    — Ah ! Monsieur le capitaine, s’exclama Fernand comme on quittait la table, quel dommage que vous ne soyez pas marin ! J’aimerais combattre sous vos ordres. »
    Là-dessus, Claudine se retira brusquement dans sa chambre où sa mère, surprise de ce départ soudain, la trouva en larmes et lui demanda : « Qu’as-tu donc, ma petite fille ?
    — Ah ! c’est affreux ! C’est trop affreux de se battre ! » répondit l’adolescente.
    Elle pensait plus exactement : c’est affreux qu’un homme si beau, si courageux, aille peut-être se faire tuer ! Elle le connaissait à peine, mais cette idée lui serrait le cœur. Quand elle revint au salon, Bernard prenait congé. Il lui fallait partir pour regagner Étampes où il n’arriverait guère avant minuit.
    « Tu as des pistolets, j’espère ? lui demanda Claude. Sais-tu qu’à présent les rues deviennent de véritables coupe-gorge ? »
    En effet, la misère, le chômage, l’exaltation des esprits, et surtout l’afflux d’une tourbe attirée dans la capitale par le trouble des temps rendaient les rues dangereuses sitôt la nuit tombée. Dans les venelles borgnes de la Cité, les bouges du quartier Maubert et les innombrables îlots lépreux de la grande ville, grouillait parmi la population misérable une pègre de vagabonds, d’étrangers sans aveu, en quête de larcins, de pillages, prêts à tous les mauvais coups. Chaque nuit, malgré la gendarmerie et les patrouilles de la garde nationale, il y avait des vols, des agressions, sinon des assassinats. L’exécution de Pelletier, suivie par plusieurs autres, ne freinait pas cette activité criminelle. Si bien que, dans les derniers jours du mois, Guadet mit l’Assemblée nationale en demeure de prendre des mesures de sécurité. Il demanda que toute personne arrivée à Paris depuis le 1 er  janvier fût tenue de déclarer son nom, son état, à la section de son domicile, et d’y montrer son passeport ; que tout concierge ou portier fût également tenu de fournir à sa section une liste des personnes demeurant dans son immeuble. Des amendes de trois cents à mille livres et des emprisonnements de trois à six mois puniraient le défaut de déclaration ou les déclarations inexactes. Nul ne pourrait résider plus de trois jours dans Paris sans être inscrit de la sorte au comité d’une section.
    Ces mesures, approuvées aux Jacobins, avaient un double but. D’une part, elles rendaient plus difficile aux criminels d’échapper aux recherches de la

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