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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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police. D’autre part, elles permettaient d’exercer une surveillance sur les aristocrates, les conspirateurs, lesprêtres non assermentés qui se cachaient pour éviter la déportation. Toutefois, elles présentaient un caractère de contrainte quelque peu despotique, Claude le fit remarquer.
    « Ces dispositions, dit-il, portent atteinte à notre principe essentiel : celui de la liberté entière des individus. Il faut qu’elles soient bien considérées comme temporaires et prises uniquement pour répondre aux exigences du moment. Je voudrais que le décret même leur fixât une limite, mettons de trois mois, par exemple. »
    On jugea superflue cette complication. Les principes, chers aux Robespierristes, n’importaient pas tant aux Brissotins que le plein exercice d’un pouvoir auquel la Cour apportait toutes sortes d’entraves. Et tous les clubistes, quelle que fût leur étiquette, s’exaspéraient de voir le Roi mettre tous les retards possibles à sanctionner les lois contre le clergé ultramontain. La lutte contre ces ennemis déclarés, qui avaient provoqué les effroyables massacres d’Avignon, qui préparaient la guerre religieuse, qui augmentaient les difficultés du trésor en interdisant à leurs fidèles de payer l’impôt, passait avant toute autre préoccupation.
    Soudain, huit jours après le départ de Bernard, arriva la première nouvelle des opérations militaires. Elles débutaient par un désastre. L’armée du Nord, commandée par Rochambeau, devait prendre l’offensive. Effectivement, deux de ses généraux : Biron et Théobald Dillon, avaient franchi la frontière, l’un en direction de Mons, l’autre de Tournai. Mais, à peine en contact avec l’ennemi, leurs troupes à tous deux s’étaient débandées, abandonnant armes et bagages. Dillon, ramené jusqu’à Lille par ses soldats en déroute, avait été massacré. Pendant ce temps, les Autrichiens traversaient sans coup férir la frontière de Flandre et occupaient Quiévrain. Pour l’instant, on n’en savait pas davantage.
    Ces événements dataient de la veille, 29 avril : jour où Claude et Lise avaient soupé avec Robespierre chez les Roland. Ils habitaient, rue Neuve-des-Petits-Champs, le splendide hôtel du ministère. Quel changement avec le garni de la rue Guénégaud ! On entrait par un majestueux porche à colonnes, on traversait une cour en hémicycle, pavée, bordée d’arcades. Huissiers et porte-flambeaux accueillaient les visiteurs sur le perron, les accompagnaient à travers les salles des gardes où les pas sonnaient sur le marbre miroitant. L’escalier à double rampe ruisselait de lumières, comme les salons dont les lambris sculptés et dorés, les hautes glaces, encadraient un portrait de Louis XIV couronné par la Victoire. Manon Phlipon, la fille du graveur bijoutier, couchait à présent dans un lit surmonté d’un dais d’autruche blanche, entre des murs décorés de fresques dont les dieux et les déesses semblaient veiller sur ses rêves. On avait peine à les croire encore républicains. Il semblait cependant qu’après s’être un peu grisés de ce luxe et des honneurs, elle et son mari commençassent de sentir dans quelle situation fausse ils se trouvaient. Le bonhomme Roland, toujours sec, négligé, et maintenant un peu hargneux, se plaignait de ses commis, de ses agents qui le paralysaient par leur mauvais vouloir. Tous travaillaient sournoisement contre lui, ou plutôt contre le ministre jacobin.
    « Il faudrait les changer, dit-il, mais ce serait une tâche immense que de renouveler tous les bureaux. Pour l’entreprendre, je n’ai ni à la Cour ni au club les appuis nécessaires. » Exactement ce que Claude avait prévu et pourquoi il avait refusé le portefeuille. « Quant au Conseil, poursuivit Roland, les séances y ressemblent davantage à des causeries de compagnie qu’aux délibérations d’hommes d’État. Le Roi lit la gazette, pose à chacun de nous des questions sur ce qui touche à notre département. Il témoigne avec assez d’adresse ce genre d’intérêt dont les grands savent se faire un mérite. Il raisonne en bonhomme sur les affaires en général, et affirme à tout propos, avec l’accent de lafranchise, son désir de faire marcher la Constitution. Mais je n’y crois plus.
    — Oui, dit M me  Roland en arrêtant sa fille, la petite Eudora, qui voltigeait autour d’elle avec ses cheveux noirs flottant jusqu’à la ceinture. Oui, j’ai vu

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