Les autels de la peur
racontars les plus extravagants trouvaient créance : ce n’était plus une arme que l’on avait découverte chez l’abbé Chabrol, mais des armes. Bientôt c’en fut un dépôt. Enfin, un dépôt d’armes chargées. L’inquiétude, l’indignation croissaient à mesure. La foule devenait très menaçante, assiégeant le poste dont les gardes défendaient difficilement les abords. Complètement investi, Guineau n’avait plus aucun moyen d’envoyer de nouveau prévenir les autorités.
« Sur les six heures, le juge arriva. Sitôt mis au courant, il commença l’interrogatoire, mais la bousculade et le tumulte redoublaient dehors, on ne s’entendait plus. Cousin prit le parti d’aller poursuivre chez lui, place Fontaine-des-Barres, l’audition du prisonnier. Guineau massa ses gardes dans l’étroite rue Servières. On descendit par là, sous la protection des baïonnettes. En deux minutes, Chabrol se trouva dans le prétoire du juge avec les principaux témoins. Dans le même temps, le peuple, criant que l’on enlevait le prévenu, se précipitait par la rue des Combes, envahissait la petite place. Des gens se juchaient sur la pyramide de la fontaine pour voir ce qui se passait dans le prétoire, au deuxième étage de la maison. Cousin, s’étant mis à la fenêtre afin de réclamer un peu de calme, fut accueilli par les cris de : « À la lanterne ! » On le sommait de rendre le prisonnier au peuple. On menaçait d’enfoncer la porte. Il tenta de parlementer, annonçant qu’il décernait un mandat contre l’abbé Chabrol, que le tribunal correctionnel allait être convoqué sur-le-champ, que l’abbé répondrait de son insoumission à la loi et de ses brutalités envers les gardes nationaux. Peine perdue, on ne voulait rien entendre, on répliquait à Cousin par des injures. La colère, le vacarme devenaient frénésie sur la placette si calme d’ordinaire entre ses vieilles maisons.
« À ce moment, Grellet, après souper, venait faire un tour à la mairie. De l’Intendance, il est frappé par une singulière rumeur, va au Portail Imbert, voit l’affluence qui montait sur la pente jusque-là, se renseigne, rentre en hâte dans la mairie où arrivaient deux autres municipaux. À eux trois, ils rédigent une réquisition pour la gendarmerie, une pour l’ensemble de la garde nationale, et courent eux-mêmes les porter. Pendant ce temps, ta mère et moi revenions tranquillement de Thias. Nous avions passé la relevée à discuter de la situation avec Dupré, Jean-Baptiste Montégut, M. de Reilhac, et mangé chez tes beaux-parents. Un peu d’air se levait après cette journée brûlante, nous ne nous pressions pas de rentrer. Il était environ sept heures et demie quand nous atteignîmes la fabrique. Je fus surpris d’y voir l’homme aux lunettes assis sur la murette, dessinant du bout de sa canne dans la poussière. Avec ses manières étranges, il me lâcha tout à trac : « Il y a un calottin que l’on est en passe de massacrer, place Fontaine-des-Barres. Ce ne serait assurément pas grande perte, mais vous feriez bien d’y aller, frère et ami, car on vous reprocherait votre absence. » Le temps de prendre mon écharpe, et je remontai en voiture, emmenant Dulimbert. De son logis, rue des Combes, il avait assisté à toute l’affaire. Il me la conta succinctement. « Allez droit à la municipalité, me dit-il, les rues autour de la place ne sont pas abordables. » Dans l’Intendance, il n’y avait personne au Département, personne au District. À la mairie, se trouvait maintenant presque tout le conseil de la Commune en train d’écouter Grellet. Il exposait les mesures qu’ils avaient prises à trois, et leur échec : la densité de la foule dans les rues étroites donnant accès à la place Fontaine-des-Barres, était telle que ni la gendarmerie ni la garde ne réussissaient à percer. Le Conseil nous délégua, Grellet et moi, pour tenter de rendre les citoyens à la raison. Descendant par le Portail Imbert, au prix d’efforts inouïs et avec beaucoup de temps nous parvînmes à la place, mais nous fûmes arrêtés par la violence du peuple dont la colère atteignait un degré d’exaltation homicide très inquiétant. Nous avions beau brandir nos écharpes, adjurer au nom de la loi les bons citoyens de se joindre à nous, personne ne nous écoutait. Au reste, la nuit commençait d’enténébrer les lieux, et nos voix se perdaient au milieu des grondements
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