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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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verre embué. L’air singulièrement calme, méditatif, il étudiait le texte du manifeste dans le Journal de Paris. « C’est bien étrange, remarqua-t-il en posant la gazette, que cette ordure, datée du 25, puisse paraître ici trois jours plus tard. Il faut même qu’on l’ait connue hier : toutes les feuilles royalistes l’impriment, elle leur a donc été distribuée. On n’a pas non plus tiré des centaines d’affiches en une heure.
    — Parbleu ! répliqua Robert, c’est la Cour qui l’a rédigée. On y a mis par avance la signature de Brunswick.
    — Tais-toi, mon ami, tu dis des bêtises. Assurément, tous ces gueux sont d’accord, mais la chose n’a pu se passer ainsi. Cela prouve simplement que la liaison entre Paris et Coblentz est remarquablement étroite et rapide.
    — À nous d’agir plus vite encore, déclara Claude. Il faut une riposte immédiate à l’insolence des cours alliées. Cela ne peut être que la déchéance du Roi et la guerre à outrance.
    — Sans doute, mais te voilà bien belliqueux, toi qui ne voulais point de la guerre.
    — Va demander à Maximilien s’il est encore pour la paix ! J’ai tout fait pour la préserver quand c’était possible. À présent, il faut vaincre ou mourir. »
    Legendre et Camille approuvèrent bruyamment. « Patience ! dit Danton avec un geste de ses larges mains. Le sort de la Cour sera réglé lundi, je pense.
    — Il devait déjà l’être le 14 ! bougonna le ci-devant boucher.
    — Oui, ajouta Marat, et si l’on tarde encore, c’est la Cour infâme qui va nous régler le nôtre. J’ai mis mon espoir dans Louis XVI jusqu’au bout, jusqu’à la limite extrême. Aujourd’hui, je dis comme Mounier-Dupré, il faut déposer le Roi sans délai, ou prendre la fuite. Le temps presse.
    — Eh ! vous me faites rire, tous, avec vos il faut, il faut ! s’exclama Danton en haussant les épaules. Bon, il faut frapper un coup, je le sais, mais il n’en faut frapper qu’un seul, radical. Ai-je le moyen de soulever Paris ? Nous verrons demain si l’entrée des Marseillais peut fournir une occasion d’entraîner le peuple, le peuple entier. D’ici là, du calme, mes amis. On a trop chaud pour s’agiter. »
    À son cabinet, Claude trouva son beau-frère qui l’attendait depuis un instant. Dubon avait été délégué par sa section au bureau des 48, qui siégeait en permanence à l’Hôtel de ville. Pour l’instant, on n’y faisait pas grand-chose. La proclamation de Brunswick exaspérait Dubon lui aussi. « Il me paraît incroyable, dit-il, que le Roi ait pu donner son accord à ce manifeste insensé. Ou bien alors on dispose, au Château, de forces telles que l’on est sûr d’écraser les patriotes, et on nous provoque à la révolte pour la noyer dans le sang. » Claude y songeait. « Mais, répondit-il, si le peuple de Paris se lève dans tout son nombre, nulle force ne saurait lui tenir tête. Au demeurant, nous n’avons pas le choix : c’est l’insurrection ou l’exil pour nous, pour la France le despotisme du trône et de l’autel, on nous en avise expressément, n’est-il pas vrai ? »
    Dans la journée, Louis XVI désavoua le manifeste par un message que l’Assemblée fit aussitôt publier. On y lisait ces mots touchants : « Que de chagrins pourraient être effacés dans le cœur du Roi si ce peuple, dont le bonheur lui a toujours été cher, marquait le moindre retour à la sagesse ! » La majorité de l’Assemblée, et tous les sans-culottes, ne virent là qu’une hypocrisie de plus. L’impression avait été votée par la Montagne pour montrer au public combien les actes du perfide monarque contrastaient avec ses paroles. Pourtant Claude ne s’y trompait pas : dans son souhait, Louis XVI était sincère. Seulement, la sagesse, cela voulait dire pour lui la soumission. Claude se rappelait la remarque, singulièrement lucide, de Robespierre, aux tout premiers jours des États généraux : « Nous en sommes à un point où, pour se comprendre, il ne suffit plus de s’aimer. » Lucide et tragique. Non, jamais tant d’amour n’avait en ce monde abouti à une si cruelle incapacité de s’entendre. Hélas, tout était perdu d’avance pour cette affection. Les jours, les mois, les années, et toutes les tentatives, n’avaient réussi qu’à répéter et approfondir la première déception : ce sentiment d’une entente impossible, si amèrement éprouvé à Versailles, dans

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