Les Aventures de Nigel
devenues que plus irritables.
Vous avez entendu parler des anciennes inimitiés écossaises, dont on peut dire en empruntant le langage de l’Écriture que les pères mangent des raisins verts et que les dents des enfans sont agacées. Malheureusement (je devrais dire heureusement, maintenant que je connais le perfide tel qu’il s’est montré) quelque trahison semblable à la sienne avait sans doute divisé jadis sa maison et celle de ma mère qui avait hérité de la haine de ses aïeux. Quand il fit la demande de ma main, elle ne put contenir son indignation. – Elle lui rappela tous les outrages que les deux familles ennemies s’étaient prodigués pendant une haine de deux siècles. – Elle l’accabla de toutes les expressions de son mépris, et rejeta son alliance comme celle du dernier des hommes.
Mon amant se retira irrité ; moi, je restai pleurant et murmurant contre la fortune. Je dois avouer ma faute, je murmurai même contre ma tendre mère. J’avais puisé d’autres sentimens dans mon éducation ; les traditions des guerres et des haines de la famille de ma mère en Écosse, qui étaient pour elle des monumens et des chroniques révérées, me semblaient aussi folles et aussi insignifiantes que les exploits et les caprices de Don-Quichotte. Je blâmais amèrement ma mère de sacrifier mon bonheur à un vain rêve de dignité de famille.
Cependant mon amant chercha à renouer notre liaison. Nous nous revîmes souvent chez la dame dont je parlais tout à l’heure, et qui, soit légèreté, soit esprit d’intrigue, favorisait notre tendresse clandestine. – Enfin nous fûmes mariés en secret, – tant je fus entraînée par mon aveugle passion !
Mon amant s’était procuré l’assistance d’un ministre de l’Église anglicane. Monna Paula, qui avait été ma suivante depuis l’enfance, fut un des témoins de notre union. Je dois rendre justice à cette fidèle compagne. – Elle me conjura de suspendre ma résolution jusqu’à ce que la mort de ma mère nous permît de célébrer publiquement notre hymen ; mais les instances de mon amant et ma passion elle-même l’emportèrent sur ses remontrances. La dame qui était dans le secret de notre amour, mais qui peut-être ignorait les sentimens réels de mon époux, nous servit aussi de témoin. C’était à l’ombre de son nom et sous l’abri de son toit que nous avions trouvé les moyens de nous voir si souvent… Mon époux semblait aussi sincère et aussi tendre que moi-même.
– Il était empressé, disait-il, de satisfaire son orgueil en me présentant à un ou deux de ses nobles compatriotes, ses amis. C’est ce qui ne pouvait avoir lieu chez lady D*** ; mais par ses ordres, que je pouvais dès lors considérer comme des lois pour moi, je me hasardai à aller le visiter deux fois à son hôtel, accompagnée seulement de Monna Paula.
Il y avait une petite réunion de deux dames et de deux gentilshommes. On fit de la musique, on rit, on dansa ; j’avais entendu parler de la franchise de la nation anglaise, mais je ne pus m’empêcher de penser qu’elle touchait presqu’à la licence pendant cette espèce de fête et la collation qui suivit. J’attribuais mes scrupules à mon inexpérience, il est vrai, et me gardais bien de douter que rien de ce qu’approuvait mon époux pût être inconvenant.
Bientôt ma destinée devait changer : ma pauvre mère mourut. – Je fus heureuse que ce triste événement eût lieu avant qu’elle eût découvert ce qui lui eût déchiré le cœur.
On a pu vous dire comment en Espagne les prêtres et surtout les moines assiègent les lits des mourans pour en obtenir des legs destinés au trésor de l’Église. Je vous ai dit que le caractère de ma mère était aigri par la maladie, et que son jugement avait aussi souffert à proportion. Elle recueillit ses forces pour se livrer à tout le ressentiment que lui inspira l’importunité des prêtres réunis autour de son lit de mort ; et l’esprit sévère de la secte réformée à laquelle son cœur avait toujours été attaché sembla animer ses dernières paroles.
Elle avoua la religion qu’elle avait long-temps cachée, renonça à toute espérance, à tout secours qui ne venait point d’elle, repoussa avec mépris les cérémonies de l’Église romaine, reprocha amèrement aux prêtres étonnés leur hypocrisie et leur avarice, et finit par leur ordonner de sortir de la maison.
Ils sortirent avec rage, mais ce fut pour
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