Les Aventures de Nigel
puis expliquer votre songe sans le secours d’un interprète chaldéen, et voici l’explication que je lui donne : c’est que l’aimable personne dans la compagnie de laquelle je me trouve ne porte pas l’habillement de son sexe.
– Et quand cela serait s’écria-t-elle en se levant tout à coup, et s’enveloppant dans les plis, de son manteau ; ces vêtemens, quels qu’ils soient, couvrent une personne qui ne les déshonorera pas.
– Il y a des gens qui regarderaient ce discours comme un beau défi, dit lord Glenvarloch en la regardant avec attention ; mais les femmes ne se déguisent pas en hommes pour faire usage des armes de l’homme.
– Ce n’est pas non plus mon projet, dit la jeune fille ; j’ai d’autres moyens de me défendre, et qui sont assez puissans ; je voudrais d’abord savoir quelles sont vos intentions.
– Elles sont honorables et respectueuses, dit lord Glenvarloch. Qui que vous soyez, quel que soit le motif qui vous a conduite ici, je suis convaincu, – chacun de vos regards, chacune de vos paroles et de vos actions me persuade que vous ne méritez pas qu’on vous manque d’égards, encore, moins qu’on cherche à vous insulter. J’ignore quelles circonstances peuvent vous avoir amenée dans une position si équivoque ; mais je crois être sûr qu’il n’y a rien, qu’il ne peut y avoir aucune intention suspecte dans votre conduite, qui doive vous exposer à un outrage fait de sang-froid. – Vous n’avez rien à craindre.
– Milord, répondit la jeune personne, je n’attendais pas moins de votre générosité. Quoique je sente combien mon aventure était dangereuse et imprudente, elle n’est pourtant pas si téméraire, et ma présence ici n’est pas tout-à-fait aussi dénuée de protection qu’on pourrait le croire à la première vue, en ne faisant attention qu’au déguisement extraordinaire sous lequel vous me voyez. Je n’ai que trop souffert de la honte d’avoir été vue sous un costume étranger à mon sexe, et des conjectures que vous devez nécessairement avoir formées sur ma conduite ; mais, grâce au ciel, je suis si bien protégée, que je n’aurais pas éprouvé une insulte sans être vengée.
Ils en étaient là de cette étrange explication, lorsque le garde entra pour servir à lord Glenvarloch un repas qu’on pouvait trouver bon dans sa situation, et qui, sans valoir la cuisine du célèbre chevalier Beaujeu, était bien supérieur pour la propreté et la délicatesse aux banquets de l’Alsace. Un garde resta pour le servir à table, et fit signe à la femme déguisée de se lever pour partager ce soin avec lui. Mais Nigel déclara qu’il connaissait les parens du jeune homme, et il invita sa compagne à prendre place à table auprès de lui. Elle céda avec une sorte d’embarras qui rendait ses jolis traits encore plus intéressans, sans cesser de conserver, avec une grâce naturelle, cet air de réserve qu’une jeune personne bien élevée doit avoir à table. Et, soit que Nigel fût déjà prévenu en sa faveur par les circonstances extraordinaires de leur rencontre, soit que son jugement fût réellement fondé sur les observations qu’il pouvait faire, il lui sembla qu’il avait rarement vu une si jeune fille avoir des manières plus nobles, jointes à une simplicité plus naïve ; tandis que le sentiment de sa situation extraordinaire prêtait un caractère singulier à tous ses mouvemens, qui sans être, à proprement parler, ni étudiés, ni faciles, ni embarrassés, offraient pourtant un mélange de ces trois manières d’être. On plaça du vin sur la table, et elle refusa opiniâtrement d’en goûter un seul verre. La présence du garde borna naturellement leur conversation à l’objet dont ils étaient occupés ; mais, long-temps avant que la nappe fût enlevée, Nigel avait formé la résolution de tâcher d’apprendre l’histoire de cette jeune personne, d’autant plus qu’il commençait à croire que le son de sa voix et ses traits ne lui étaient pas étrangers, comme il se l’était imaginé d’abord. Cependant il n’adopta que lentement cette idée, et seulement d’après les observations qu’il fit pendant le cours du repas.
Enfin ils s’étaient levés de table, et lord Glenvarloch réfléchissait sur la manière dont il lui serait plus facile d’entamer le sujet qu’il méditait, lorsque le garde vint lui annoncer une visite.
– Ah ! dit Nigel avec humeur, je vois qu’une
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