Les Aventures de Nigel
prison ne met pas à l’abri des importuns.
Il se prépara cependant à recevoir cette visite, et sa compagne, effrayée, se réfugia dans le large fauteuil en forme de berceau qui lui avait d’abord servi de refuge, s’enveloppa de son manteau, et s’arrangea autant que possible de manière à ne pas être reconnue. À peine avait-elle terminé ses dispositions, que la porte s’ouvrit, et l’honnête citadin George Heriot entra dans l’appartement.
Il jeta, comme à son ordinaire, son coup d’œil pénétrant et observateur autour de la chambre ; puis, s’approchant de Nigel, il lui dit : – Milord, je voudrais pouvoir vous assurer que je suis heureux de vous voir.
– La vue d’un ami malheureux, maître Heriot, inspire rarement le bonheur à ceux à qui il est cher ! – Cependant je suis bien aise de vous voir.
Il lui tendit la main ; mais Heriot s’inclina avec un respect affecté au lieu d’accepter cette politesse, qui, dans ces temps où la distinction des rangs était en grande partie maintenue par l’étiquette et la cérémonie, passait pour une faveur distinguée.
– Vous êtes fâché contre moi, maître Heriot, dit lord Glenvarloch en rougissant, car il n’était pas abusé par le respect profond que lui témoignait l’honnête citadin.
– Nullement, milord, répondit Heriot ; j’ai été en France, et j’ai pensé que je ne ferais pas mal d’apporter, avec quelques autres articles plus solides, un petit échantillon de ce savoir-vivre pour lequel les Français sont si renommés.
– Il n’est pas bien à vous, dit Nigel, d’en faire usage le premier vis-à-vis d’un ancien ami qui vous a des obligations.
Heriot ne répondit à cette observation que par une petite toux sèche, après quoi il continua :
– Hem ! hem ! dis-je, hem ! Milord, comme ma politesse française ne peut me mener loin, j’aimerais à savoir si je dois parler en ami, puisque Votre Seigneurie veut bien me donner ce titre ; ou si je dois, comme il convient à ma condition, m’en tenir à l’affaire importante qu’il faut que nous traitions ensemble.
– Maître Heriot, répondit Nigel, je vous prie de parler en ami ; je vois que, si vous ne croyez pas à toutes les préventions qui s’élèvent contre moi, vous en avez du moins adopté une partie. Parlez avec hardiesse et avec franchise ; j’avouerai au moins ce que je ne pourrai nier.
– Et j’espère, milord, que vous ferez réparation.
– Certainement, autant que cela sera en mon pouvoir.
– Ah ! milord, c’est une restriction affligeante, mais nécessaire ; il n’est que trop facile de causer cent fois plus de mal qu’il n’est possible d’en faire réparation à la société et à ceux qui ont souffert ! Mais nous ne sommes pas seuls ici, dit-il en s’arrêtant et en lançant un regard perçant du côté de la jeune fille déguisée qui était enveloppée dans son manteau, et qui, malgré ses efforts, n’avait pu s’arranger de manière à éviter entièrement d’être vue. Plus jaloux d’empêcher qu’elle ne fût découverte que de cacher ce qui l’intéressait personnellement, Nigel se hâta de répondre :
– C’est un page à mon service… vous pouvez parler sans gêne devant lui. Il est né en France et ne sait pas l’anglais.
– Je vais donc parler librement, dit Heriot après avoir regardé une seconde fois du côté du fauteuil ; mais je crains que mes paroles ne soient plus sincères qu’agréables.
– Parlez toujours, monsieur ; je vous ai dit que je savais supporter les reproches.
– Hé bien ! en un mot, milord, pourquoi vous trouvé-je ici chargé d’accusations capables de ternir un nom illustré par tant de siècles de vertu ?
– La véritable cause, répondit Nigel, c’est que, pour commencer par mon erreur première, j’ai voulu être plus sage que mon père.
– C’était une tâche difficile, milord ; votre père passait pour l’homme le plus sage de l’Écosse, et pour un de ses meilleurs citoyens.
– Il m’avait recommandé, continua Nigel, d’éviter toute espèce de jeux, et j’ai pris sur moi de modifier cette injonction en réglant ma manière de jouer suivant mon habileté, mes moyens et mes veines de bonheur.
– Oui, milord, suivant vos propres idées, fondées sur le désir du gain : vous espériez toucher de la poix sans vous salir les mains. Il est inutile de nous arrêter sur ce sujet, milord, car j’ai eu le regret
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