Les Aventures de Nigel
capable d’en tirer avantage à son préjudice.
– C’est très-bien parler, dit maître Heriot ; mais un clerc adroit peut lire les Apocryphes aussi haut que l’Écriture sainte. Franchement, milord, vous en êtes arrivé au point que vos paroles ne peuvent passer sans être accompagnées de preuves.
– Peut-être ne devrais-je point élever la voix, dit Marguerite, dont rien au monde ne pouvait étouffer longtemps la vivacité naturelle, mais je ne puis me taire. Mon parrain, vous êtes injuste envers moi et envers ce jeune lord. Vous dites que ses paroles ont besoin de preuves ; je sais où en trouver pour quelques-unes ; et le reste, je le crois sincèrement et religieusement sans en avoir.
– Je vous remercie, jeune fille, répondit Nigel, de la bonne opinion que vous avez exprimée. Il paraît que, sans que j’en sache la cause, je suis arrivé à un tel point qu’on refuse de croire à toute action ou pensée généreuse de ma part. Je n’en suis que plus reconnaissant envers celle qui me rend la justice que le monde me refuse. Quant à ce qui vous regarde, si j’étais en liberté, j’ai une épée et un bras qui sauraient défendre votre réputation.
– D’honneur, nous voyons ici un Amadis parfait et une Oriane, dit George Heriot ; je crois que je ne tarderais pas à avoir la gorge coupée entre le chevalier et la princesse si malheureusement les mangeurs de bœufs {112} n’étaient pas à portée de la voix. – Allons, allons, la dame au cœur trop tendre, si vous avez envie de vous tirer d’affaire, vous n’en viendrez à bout que par des aveux prouvés, et non par des phrases de romans et de comédies. – Au nom du ciel, comment êtes-vous venue ici ?
– Monsieur, répondit Marguerite, puisqu’il faut parler, je vous dirai que je suis allée à Greenwich ce matin avec Monna Paula, pour présenter une pétition au roi de la part de lady Hermione.
– Dieu de miséricorde ! s’écria Heriot, est-elle aussi dans la danse ? N’aurait-elle pu attendre mon retour pour se remuer dans ses affaires ? Mais je pense que la nouvelle que je lui avais envoyée lui avait ôté tout repos. Ah ! femmes, femmes ! – celui qui lie son sort au vôtre aurait besoin d’une double dose de patience, car vous n’en apportez guère dans la communauté. Mais quel rapport cette ambassade de Monna Paula a-t-elle avec votre déguisement absurde ? Parlez.
– Mona Paula était effrayée, répondit Marguerite, et ne savait comment remplir son message ; vous n’ignorez pas qu’elle met à peine le pied dehors. De sorte… de sorte que, – je suis convenue d’aller avec elle pour lui donner du courage ; et quant à mon costume, vous devez vous souvenir que je le portais à un déguisement de Noël, et que vous ne le trouviez pas inconvenant {113} .
– Oui, pour une fête de Noël dans un salon, répliqua Heriot, mais non pour courir en mascarade à travers les champs. Je m’en souviens, mignonne, et je viens de le reconnaître ; c’est à cela, ainsi qu’à votre petit pied, et à un avertissement que j’ai reçu ce matin d’un ami, ou d’une personne qui se donnait pour tel que j’ai l’obligation de vous avoir reconnue. Ici lord Glenvarloch ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil sur les petits pieds que le grave citadin lui-même avait jugé à propos de citer ; un coup d’œil seulement, car il vit combien le moindre signe d’une attention trop curieuse ajoutait aux souffrances et à la confusion de Marguerite. – Et dites-moi, ma fille, continua maître Heriot, car notre observation n’était qu’une plaisanterie faite en passant, – lady Hermione savait-elle cette belle œuvre ?
– Je n’aurais point osé lui en parler pour tout au monde, dit Marguerite ; elle croyait qu’un de nos apprentis allait accompagner Monna Paula.
On remarquera ici que ces mots – nos apprentis, parurent avoir en eux quelque chose qui rompit le charme sous l’influence duquel lord Glenvarloch avait écouté les détails intéressans, quoique interrompus, de l’histoire de Marguerite.
– Et pourquoi n’est-il pas allé avec elle ! il eût été certainement un compagnon plus convenable pour Monna Paula que vous, dit le citadin.
– Il avait autre chose à faire, répondit Marguerite d’une voix à peine intelligible.
Maître George lança un coup d’œil rapide sur Nigel, et lorsqu’il vit que ses traits n’exprimaient aucun reproche d’une conscience
Weitere Kostenlose Bücher