Les Aventures de Nigel
avait saisi dans ses serres dans un moment critique, et que le roi gardait comme un souvenir honorable.
Ces ridicules contrastes dans son costume et dans ses occupations n’étaient que le symbole de ceux de son caractère, que ses contemporains ne pouvaient définir, et qui devait être un problème pour les historiens futurs. Il était profondément instruit, sans avoir une seule connaissance utile ; il montrait de la sagacité en bien des cas, sans posséder un jugement sain. Tenant fortement à son autorité, et cherchant tous les moyens de la maintenir et de l’augmenter, il se laissait pourtant conduire par les plus indignes favoris. Faisant valoir bien haut par ses discours le moindre de ses droits, il les voyait tranquillement fouler aux pieds. Le roi Jacques aimait les négociations, et jamais il n’y était le plus adroit ; et il craignait la guerre, quand il aurait pu faire des conquêtes. Il voulait soutenir sa dignité, et il se dégradait sans cesse par des familiarités assez inconvenantes. Capable de se livrer au travail des affaires publiques, il les négligeait pour le moindre amusement particulier qui s’offrait à lui ; il était bel-esprit, mais pédant ; savant, mais aimant la conversation des ignorans et des gens sans éducation. Sa timidité naturelle n’était même pas uniforme, et il y eut des instans dans sa vie, et des instans critiques, où il déploya l’énergie de ses ancêtres. Il était laborieux dans les bagatelles, et frivole quand il fallait se livrer à un travail sérieux. Il avait des sentimens religieux, mais ses discours étaient trop souvent profanes. Naturellement juste et bienfaisant, il ne savait pas réprimer les injustices et l’oppression que se permettaient ceux qui l’entouraient. Avare quand il s’agissait de donner l’argent de sa propre main, il le prodiguait inconsidérément quand il n’était question que de signer un mandat sur son trésorier. En un mot, les bonnes qualités qu’il montrait dans les occasions particulières n’étaient pas assez solides et assez constantes pour régler sa conduite générale ; et, ne se montrant que par intervalle, elles ne lui donnaient droit qu’à la réputation que lui a faite Sully en disant que c’était le fou le plus sage de toute la chrétienté.
Par une destinée aussi bizarre que son caractère, ce monarque, celui des Stuarts qui eut certes le moins de talens, s’assit tranquillement sur un trône contre lequel ses prédécesseurs avaient eu tant de peine à défendre le leur. Et enfin, quoique son règne parût fait pour assurer à la Grande-Bretagne cette tranquillité durable et cette paix intérieure qui convenait si bien à ses dispositions, ce fut néanmoins pendant qu’il porta la couronne que se répandirent ces germes de dissension qui, comme les dents du dragon de la fable, produisirent pour moisson une guerre civile sanglante et universelle.
Tel était le monarque qui, saluant familièrement Heriot par le nom de Geordie Tintin, car c’était sa coutume bien connue de donner des sobriquets à tous ceux qu’il traitait avec familiarité, lui demanda quel nouveau tour de son métier il venait jouer pour lui soutirer de l’argent.
– À Dieu ne plaise, sire, répondit le citadin, que j’aie un projet si déloyal ; mais je viens pour montrer à Votre Majesté une pièce d’argenterie que, d’après la beauté du travail et le sujet qu’elle représente, je n’ai pu me résoudre à proposer à aucun de vos sujets avant de l’avoir mise à votre disposition.
– Sur mon ame ! je veux la voir, Heriot ; et cependant le service d’argenterie pour Steenie m’a paru si cher, que je m’étais presque donné ma parole royale de ne plus changer mon or ni mon argent contre le vôtre.
– Relativement à l’argenterie du duc de Buckingham, sire, Votre Majesté avait donné ordre que rien ne fût épargné pour que…
– Qu’importe ce que j’avais ordonné ? Quand un homme sage est avec des fous et des enfans, il faut qu’il joue, même à la fossette ; mais vous auriez dû avoir assez de bon sens et de réflexion pour ne pas vous prêter à toutes les fantaisies de Bambin Charles et de Steenie. Ils auraient voulu paver les chambres en argent, et je suis surpris qu’ils ne l’aient pas fait.
Heriot inclina la tête, et garda le silence. Il connaissait trop bien son maître pour chercher à se justifier autrement que par une allusion éloignée à ses ordres ; et
Weitere Kostenlose Bücher