Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
père mais selon sa propre vision intérieure 15 .
C’est elle la lumière. Elle est unique. Tous ceux qui la voient et qui
l’aiment sont uniques.
Et l’autre, la lumière physique dont je parlais, elle adoucit et séduit dangereusement la vie des amants aveugles du monde. Mais s’ils savent faire
tes louanges en faisant les siennes – Dieu créateur de tout –, ils la font participer à ton hymne sans se laisser entraîner par elle dans leur songe.
C’est comme ça que je veux être. Résister aux plaisirs des yeux pour
ne pas trébucher en avançant sur ta voie. Je lève sur toi des yeux invisibles. Pour que tu délivres mes pas des pièges. Tu me délivres souvent,
je tombe souvent dans le piège. Tu n’arrêtes pas de me délivrer.
Et moi tant de fois retenu par des pièges partout répandus.
Tu ne t’endors pas
tu ne dors pas
protecteur d’Israël 16
53.
On ne compte plus les réalisations d’artistes ou d’artisans : vêtements, chaussures, vases, différents objets fabriqués, peintures, sculptures variées… Très au-delà des besoins et des nécessités et sans signification religieuse. Les hommes les entassent sous notre vue séduite. Les
hommes s’attachent aux objets extérieurs qu’ils fabriquent mais abandonnent à l’intérieur celui qui les a faits. Ils détruisent ce qu’il a fait
d’eux.
Et moi, mon Dieu, ma parure, j’y trouve matière à un hymne, un
sacrifice de louanges à offrir à celui qui s’est offert en sacrifice pour moi.
Ces beautés qui passent de l’âme dans des mains expertes ont leur
origine dans cette beauté au-dessus des âmes, et vers laquelle soupire
mon âme jour et nuit. Les artisans et les amateurs de ces beautés extérieures en tirent une règle pour les juger, mais ils n’en tirent pas une
pour leur usage. Elle y est pourtant. Ils ne la voient pas. Sinon ils
n’iraient pas plus loin. Et mettraient leur force sous ta protection au lieu
de la disperser dans de délicieuses lassitudes.
Moi-même, qui parle et vois bien tout ça, j’attache mes pas à ces
beautés. Mais tu m’en délivres, Seigneur. Tu me délivres. Oh ton amourest là sous mes yeux. Oui, moi misérable captif. Toi libérateur aimant.
Je ne m’en rends pas compte si ma chute est légère, ou j’en suis meurtri si je suis déjà très attaché.
54.
Il y a une autre forme de tentation, insidieuse et dangereuse. Au-delà
du désir charnel, plaisirs de tous les sens, de toutes les voluptés, esclavage mortel quand on s’éloigne de toi. Usant des mêmes sens charnels,
l’âme ne tire pas alors son plaisir directement de la chair mais de l’expérience charnelle d’un désir vide et cupide, affublé du nom de science et
de connaissance. Un appétit de savoir dont les yeux se font les principaux agents sensoriels, et que la parole divine a appelé désir des yeux.
Et si littéralement les yeux correspondent au voir, nous utilisons aussi
ce mot pour d’autres sens que nous appliquons à la connaissance. On
ne dit pas : écoute comme c’est rutilant. Ni : sens comme cela brille. Ni :
touche comme c’est resplendissant. Dans tous ces cas, on emploie le
mot voir. Non seulement nous disons : vois cette lumière (c’est le
propre des yeux), mais aussi : vois comme cela résonne, vois quelle
odeur, vois quel goût, vois comme c’est dur. On généralise donc l’expérience sensorielle en l’appelant, comme on l’a dit, désir des yeux. Si le
voir est d’abord la fonction des yeux, il s’applique aussi aux autres sens,
par analogie, dans l’aventure de la connaissance.
55.
On distingue alors plus clairement dans l’activité sensorielle le simple
plaisir du désir de connaître. Plaisir du beau, de l’harmonie, de la délicatesse, de la saveur, de la douceur. Mais on désirera connaître le
contraire pour le tester. Non par masochisme mais par passion de savoir
et de découvrir. Quel plaisir en effet à voir un cadavre mutilé qui nous
fait horreur ? Et pourtant, à la moindre dépouille quelque part, les gens
se précipitent pour s’affliger et blêmir. Ils ont même peur d’en rêver,
comme si on les avait forcés à le voir ou leur avait fait croire qu’il y
avait quelque chose de beau. Même chose pour les autres sens. Mais ce
serait trop long. C’est ce désir morbide qu’on excite au théâtre en exhibant toutes sortes de phénomènes prodigieux. C’est ce désir qui fouille
une nature hors de notre portée. Connaissances inutiles que
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