Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
montagnes
Certaines de nos responsabilités dans la société humaine impliquent
que nous nous fassions aimer ou craindre des autres. Prétexte dont use
l’Adversaire de notre vrai bonheur pour distribuer partout ses bravo !
bravo ! comme autant de pièges. Imprudents, nous nous laissons prendre
à notre fatuité. Nous renonçons à nous réjouir de ta vérité en préférant la
flatterie humaine. Plaisir de nous faire aimer ou craindre non plus à cause
de toi mais à ta place. L’Adversaire nous rend ainsi semblables à lui. Avec
lui, nous ne sommes pas dans une communauté d’amour mais dans une
communauté de supplices. Il a assis son trône sur le vent du Nord. Ses
sombres esclaves transis t’imitent, pervers et grimaçant. Mais nous, Seigneur, nous sommes ton petit troupeau. Tu nous possèdes. Cache-nous
dans l’ombre de tes ailes. Sois notre gloire. Aimés pour toi, craints pour ta
parole. Si quelqu’un que tu critiques cherche notre admiration, nous ne le
défendrons pas quand tu le jugeras, et nous ne le sauverons pas quand tu
le condamneras. Et pas seulement dans le cas d’un criminel dont on adore
les folies, ou dont on bénit les crimes. Mais cela vaut aussi pour quelqu’un
dont on admire le don que tu lui as fait, s’il préfère l’admiration qu’on lui
voue à la possession du don même qui lui vaut l’admiration de tous. Tu
critiques l’admiration qu’il reçoit. Et l’admirateur est alors meilleur que
l’admiré. Le premier a aimé le don de Dieu dans l’homme, le second a préféré ce que lui donnaient les hommes plutôt que Dieu.
60.
Provocations quotidiennes, Seigneur. Provocations ininterrompues.
Dans la fournaise quotidienne de la langue humaine.
Là aussi, tu nous imposes de nous maîtriser.
Oh. Donne tes ordres. Ordonne ce que tu veux.
Tu connais à ce propos les gémissements de mon cœur, les flots de
mes yeux. Je ne réalise pas dans quelle mesure je suis débarrassé decette peste. J’ai très peur de mes pulsions secrètes. Tu les vois, pas
moi.
Pour les autres tentations, j’ai toujours une possibilité de m’évaluer.
Mais dans ce cas, presque aucune. Je vois bien jusqu’où je peux maîtriser mon plaisir physique ou ma stérile passion de connaissances, si j’en
suis privé volontairement ou par frustration. Je me demande alors ce
qui est pire pour moi, les satisfaire ou pas. Et si on ne peut pas se faire
une idée de notre attachement à l’argent que l’on convoite au service de
l’un de ces plaisirs, ou deux, ou les trois à la fois, on peut y renoncer,
c’est un bon test.
Mais comment évaluer si nous pouvons nous passer de l’admiration
des autres ? Par une vie méchante, si horrible et atroce qu’on ne pourrait pas nous connaître sans nous détester ? Pensée folle. Mais si l’admiration est la compagne habituelle et obligée d’une vie droite, d’une
conduite juste, il ne faut pas y renoncer, ni à la vie droite elle-même.
Seule l’absence de quelque chose me permet de savoir si je souffre ou
pas d’en être frustré.
61.
Que t’avouer, Seigneur, à ce propos ? Que j’aime être admiré ? Mais
j’aime encore mieux la vérité. Entre être admiré par tous, en étant complètement fou et errant, ou critiqué par tous, tout en étant ferme et
fidèle à la vérité, je sais très bien quel serait mon choix. Et je ne voudrais même pas de l’admiration d’un inconnu pour renforcer ma satisfaction d’avoir accompli quelque chose de bien.
Or, non seulement c’est le cas, je l’avoue, mais encore la moindre critique me touche. Et comme cela me rend malheureux, je trouve en moi
une excuse. Tu sais ce qu’elle vaut, Dieu. Je ne suis pas objectif.
Oui, tu nous a donné l’ordre de nous maîtriser – détacher notre
amour de certaines choses –, mais aussi d’être justes – orienter notre
amour. Et tu n’as pas voulu que nous t’aimions seulement mais aussi
notre prochain. J’ai alors souvent l’impression que je suis heureux des
progrès de mon prochain, ou de ses progrès futurs, quand il a eu le bon
goût de m’admirer. Mais je suis malheureux si quelqu’un critique ce
qu’il ne comprend pas chez moi ou qui est digne d’admiration. Il arriveaussi que je sois malheureux de l’admiration qu’on me porte, quand on
admire en moi ce qui fait mon malheur, ou que l’on exagère des qualités mineures ou futiles. Mais là encore, comment savoir si ma réaction
n’est pas due en réalité à ce que je ne tiens
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