Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
leur rythme et leur existence. D’autres
jours passeront encore, et lui devront leur rythme et leur existence. Mais
toi, tu es toujours le même. Toutes les choses de demain et d’au-delà,
toutes les choses d’hier et derrière nous, tu les feras aujourd’hui, tu les as
faites aujourd’hui.
Si quelqu’un ne comprend pas, je n’y peux rien. Quelqu’un devrait se
réjouir au contraire d’avoir à s’interroger. Il devrait se réjouir au contraire
et préférer ne te trouvant pas te trouver, que te trouvant ne pas te trouver.
11.
Écoute, Dieu. Hélas. Crimes des hommes.
C’est un homme qui parle, et tu as pitié de lui parce que tu l’as fait alors
que tu n’as pas fait le crime en lui.
Qui me rappelle la faute de mon enfance ?
Personne n’est sans faute devant toi, pas même l’enfant dont la vie n’a
qu’un jour sur la terre.
Qui me le rappelle ? N’importe quel tout petit d’aujourd’hui, si petit
soit-il, en qui je vois ce dont je ne me souviens pas de moi.
Quelle faute ai-je bien pu commettre ? d’avoir pleuré en ouvrant une
bouche béante pour réclamer le sein ? Aujourd’hui, si j’ouvrais une
bouche béante non plus pour réclamer le sein mais une nourriture de mon
âge, on se moquerait de moi et on me punirait à juste titre. Je faisais donc
quelque chose de répréhensible, mais parce que je n’étais pas encore
accessible à la punition, ni les mœurs ni la raison ne permettaient qu’on
me punisse.
En grandissant, nous passons à autre chose. Mais je n’ai vu personne
qui, pour purifier quelque chose, abandonnerait délibérément ce qui est
bien.
Est-ce que cela voudrait dire que pour un enfant de cet âge, ce qui est
bien c’est de pleurer pour demander même ce qui serait nuisible de lui
donner ? ou de s’indigner avec acharnement contre les adultes libres
et indociles, et contre ses géniteurs ? et avec de nombreux adultes bien
plus prudents que nous, et qui n’obtempèrent pas au moindre signe, de
les frapper en s’efforçant de faire le plus de mal possible parce qu’ils
n’obéissent pas à des ordres auxquels il serait pernicieux d’obéir ?
Si les corps sans défense des tout petits sont innocents, leurs intentions,
elles, ne le sont pas.
J’ai vu et fait l’expérience de la jalousie d’un tout petit. Il ne parlait pas
encore et fixait d’un regard pâle et amer son frère de lait. Qui n’a jamais
connu ça ? Les mères et les nourrices prétendent posséder je ne sais quel
antidote. Mais quand les montées de lait sont fortes et abondantes, il serait
alors innocent de ne pas supporter d’avoir à partager ce lait avec celui qui
est radicalement dans le besoin, et dont la vie même dépend de cet unique
aliment… Mais face à cela, les adultes sont doux et tolérants. Non que ce
ne soit rien ou presque, mais en grandissant, on est passé à autre chose. La
preuve : on ne supporterait plus les mêmes réactions chez un adulte.
12.
C’est toi, Seigneur mon Dieu, qui as donné la vie au petit enfant, et
un corps, nous le voyons, que tu as doté de sens, composé de membres,
paré d’une forme, et pour coordonner l’ensemble, tu y as introduit tous
les instincts du vivant.
Tu me demandes de te louer pour tout ce que tu as fait, de me confier
à toi, de psalmodier ton nom très haut.
Tu es un Dieu tout-puissant et bon même si tu n’avais fait que ça – ce
que déjà personne d’autre ne peut faire à part toi.
Un d’où vient la mesure de tout
si élégant tu donnes forme à tout
avec ta loi tu commandes à tout
Cette époque, Seigneur, je ne me souviens pas de l’avoir vécue, mais
d’autres m’y ont fait croire. Si j’en ai été l’acteur, je ne m’en suis fait une
idée qu’auprès d’autres enfants. Et même s’il est possible de m’y fier, je
n’arrive pas à compter cette époque avec la vie que je vis dans ce
monde. Elle appartient à la nuit de mon oubli, au temps vécu dans
l’utérus de ma mère.
Si dans la faute je fus conçu
du crime ma mère
m’a nourri dans l’utérus
Alors quand, je te le demande, mon Dieu, quand, Seigneur, moi ton
esclave, quand et où ai-je été innocent ?
Mais je renonce à cette époque. Elle n’a rien à voir avec moi si je n’en
garde aucune trace.
13.
Avançant dans l’existence, j’ai quitté le stade du nourrisson.
Est-ce moi alors qui suis venu à l’enfance ? ou l’enfance elle-même
qui serait venue jusqu’à moi pour succéder au nourrisson ?
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