Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
l’aliment de la petite enfance, suivant ton
projet et les richesses que tu as réparties jusqu’au fond des choses. Toi
aussi tu me donnais de ne pas vouloir davantage que ce que tu donnais,
et à mes nourrices de vouloir me donner ce que tu leur donnais. Oui,
elles voulaient me donner par une juste affection ce qu’elles recevaient
de toi en abondance. C’était pour elles un bien, le bien qui me venait
d’elles – qui ne venait pas d’elles mais qui existait par elles.
oui de toi viennent toutes choses Dieu
et de mon Dieu mon salut tout entier
Je m’en suis aperçu plus tard. Au cri que tu m’adressais en me donnant le plus intime comme le plus extérieur. Mais en ce temps-là, je ne
savais que sucer pour me calmer une fois comblé, ou pleurer aux
mécontentements de ma chair.
C’est tout.
8.
Plus tard, j’ai commencé à rire. D’abord dans mon sommeil puis
éveillé. On me l’a dit de moi et j’y ai cru car nous voyons faire ainsi
d’autres enfants, mais en réalité, me concernant, je ne me souviens pas.
Progressivement, j’ai acquis l’expérience sensible d’où j’étais. J’aivoulu manifester mes volontés à ceux qui pourraient les réaliser. Et j’en
étais incapable parce qu’elles étaient en moi et les autres au-dehors.
Aucun de leurs sens ne leur donnait la possibilité de pénétrer ma
conscience. C’est pourquoi je gesticulais et j’émettais des sons, des
signaux, à l’image de mes volontés, le peu que je pouvais, comme je
pouvais. Mais ça ne ressemblait à rien.
Quand on ne m’obéissait pas, par incompréhension ou par protection, je m’indignais contre l’insoumission des grands, ces gens libres et
désobéissants. Et je me vengeais en pleurant.
Les enfants sont comme ça, je l’ai appris. J’ai pu l’apprendre avec
eux. Les enfants m’ont mieux renseigné inconsciemment sur moi-même
que ne l’ont fait consciemment mes nourriciers.
9.
Depuis longtemps ma petite enfance est morte et moi je vis.
Ce n’est pas comme toi, Seigneur. Tu vis toujours. Rien ne meurt en
toi parce qu’avant le début des siècles, et avant tout ce qui peut même
s’appeler un avant, tu es.
Tu es Dieu et Seigneur de tout ce que tu as créé. Avec toi, les causes
de toutes les choses instables sont stables, les origines de toutes les
choses qui changent ne changent pas, et les raisons de toutes les choses
irrationnelles et temporelles sont toujours vivantes.
Dis-moi, dis à ton suppliant, Dieu, par pitié pour ton misérable, dis-moi si ma petite enfance a succédé à un obscur temps déjà mort de mon
existence. Est-ce le temps que j’ai passé à l’intérieur des entrailles de ma
mère ?
Je ne peux pas dire d’ailleurs qu’on ne m’a donné aucun renseignement sur cette époque. Car j’ai vu déjà des femmes enceintes.
Et avant, qu’est-ce que j’étais, ma douceur mon Dieu ? Est-ce que
j’étais quelque part ou quelqu’un ? qui me le dira vraiment ? Personne.
Ni père ni mère ne l’ont pu, ni l’expérience des autres ni ma mémoire.
Ah tu dois rire de moi quand je te pose toutes ces questions, tu me
demandes sans doute de te louer et de t’avouer tout ce que je sais déjà.
10.
Je t’avoue, Seigneur du ciel et de la terre, et je te loue pour mes
débuts et pour ma petite enfance dont je ne me souviens pas.
Tu as permis à l’homme de s’en faire une idée d’après les autres, et
sur l’autorité même de faibles femmes d’en croire beaucoup de choses.
J’existais bien sûr, et je vivais dès ce temps-là, et je cherchais déjà, à la fin
de l’enfance, les signaux susceptibles de faire connaître mes sentiments à
d’autres que moi.
Cet être animé, d’où vient-il sinon de toi, Seigneur ? est-on l’ouvrier de
sa propre fabrique ? On puiserait ailleurs l’être et la vie qui coulent en
nous, ailleurs qu’en toi qui nous as faits…
Seigneur, pour qui l’être et la vie ne sont pas deux choses différentes
parce que l’être absolu et la vie absolue sont une seule et même chose.
Tu es l’être absolu et tu ne changes pas.
L’aujourd’hui n’a pas de fin en toi. Et pourtant si, en toi il a une
fin parce qu’en toi sont aussi toutes ces choses sinon elles n’auraient pas
d’issue si tu ne les contenais pas.
Et parce que tes années ne s’éclipsent pas, tes années sont un seul et
même aujourd’hui.
Combien de nos jours, oh combien de jours de nos pères sont passés
par ton aujourd’hui ? ils lui doivent
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