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Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions

Titel: Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric Boyer
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des vœux que l’on veut voir se réaliser. Mais dans
la douleur de la perte et du deuil, dans laquelle j’étais alors enseveli, je
ne pouvais pas espérer qu’il revienne à la vie. Mes larmes ne le demandaient pas mais je souffrais tellement que je pleurais.
    Oui, j’étais malheureux. J’avais perdu ma joie.
    Les pleurs, qui sont une chose amère, feraient-ils alors nos délices
par dégoût des mêmes choses qui faisaient autrefois notre jouissance et
aujourd’hui notre répulsion ?
    11.
    Mais pourquoi en parler encore ?
    Le temps n’est plus aujourd’hui aux questions mais aux aveux.
    J’étais malheureux. L’âme est malheureuse, garrottée par l’amitié des
choses mortelles, et lacérée quand elles les perd. Le malheur qu’elle
éprouve était déjà son malheur avant même de les perdre.
    Je me trouvais exactement dans cet état. Je pleurais amèrement et je
trouvais mon repos dans l’amertume.
    Oui, j’étais malheureux. Mais je tenais à cette vie de malheurs plus
qu’à mon ami. J’aurais bien voulu la changer mais je n’aurais pas voulu
la perdre à sa place. Je ne sais même pas si j’aurais voulu la perdre pour
lui, comme la tradition, ou plutôt la fiction, d’Oreste et Pylade qui
auraient voulu mourir ensemble l’un pour l’autre. Ne pas vivre
ensemble était pour eux pire que la mort.
    Mais en moi, je ne sais quel sentiment extrêmement paradoxal s’était
levé. À la fois un immense dégoût de vivre et la peur de mourir. Je crois
que plus je l’aimais plus j’éprouvais pour la mort, qui me l’avait
emporté comme une ennemie très féroce, de la haine et de la peur. Elle
viendrait soudain à bout de tous les hommes, j’imaginais, puisqu’elle
avait pu l’avoir.
    J’étais plongé dans cet état, je me souviens.
    C’est mon cœur, mon Dieu, c’est tout ce qu’il y a au fond de lui.
    Regarde, je me souviens, toi mon espoir, toi qui me purifies de
l’impureté de telles affections, je dirige mes yeux vers toi et je libère mes
pieds des pièges.
    Je m’étonnais que le reste des mortels vive alors que celui que j’avais
adoré comme s’il n’eût pas dû mourir était mort. Et plus encore de vivre
alors que lui était mort et que j’étais pourtant comme un autre lui-même.
    La moitié de mon âme, a si bien dit quelqu’un en parlant de son ami.
Oui, j’ai moi-même éprouvé que mon âme et son âme ne faisaient
qu’une seule âme dans deux corps différents. Pour cette raison, peut-être, la vie me faisait horreur. Je ne voulais pas vivre à moitié. Mais en
même temps, j’avais peur de mourir… Sans doute parce que je ne voulais pas que celui que j’avais tant aimé meure tout entier.
    12.
    Folie qui ne sait pas aimer les hommes avec humanité.
    Homme stupide qui souffre à l’excès d’être homme.
    C’était moi.
    Feu, soupirs, pleurs, agitation.
    Jamais de repos ni de recul.
    Je portais mon âme déchiquetée et sanglante qui ne souffrait plus que
je la porte. Je ne trouvais pas où la reposer. Ni dans les vignobles charmants ni dans les jeux ni dans les chants ni dans les lieux délicatement
parfumés ni dans les banquets éclatants ni dans la volupté de la
chambre et au lit, ni enfin dans les livres et les poèmes. Elle ne trouvait
le repos nulle part. L’horreur était partout. Dans la lumière elle-même.
Tout ce qui n’était pas lui était mauvais et odieux sauf les gémissements
et les larmes car ils étaient les seuls à procurer un petit peu de repos. Et
quand je m’en arrachais, j’étais écrasé par le malheur.
    J’aurais dû me hisser jusqu’à toi, Seigneur, et guérir. Je le savais. Mais
je ne le voulais pas, je ne le pouvais pas. D’autant que pour moi, tu
n’étais pas quelque chose de solide et de ferme, selon les représentations que je me faisais de toi. Ce n’était pas toi mais un fantasme vide.
Mon erreur était mon Dieu. Si je tentais de poser là mon âme pour
qu’elle se repose, elle vacillait dans le vide et retombait sur moi. Je
n’étais pour moi qu’un lieu stérile où je ne pouvais rester mais que je ne
pouvais pas quitter.
    Où mon cœur aurait-il fui mon cœur ?
    Où m’enfuir de moi-même ?
    Où aller sans me suivre moi-même ?
    J’ai fui la patrie. Mes yeux chercheraient moins mon ami où ils
n’avaient pas eu l’habitude de le voir.
    De la ville de Tagaste, je suis ainsi venu à Carthage.
    13.
    Le temps ne reste pas inactif. Son déroulement agit sur nos sens. Il
opère dans l’âme

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