Les Bandits
survenir à plus ou moins longue échéance,
comme par exemple des guerres, des conquêtes, ou l’effondrement du système
administratif dont ils représentaient un fragment isolé. Toutes ces
catastrophes étaient susceptibles de multiplier le banditisme sous une forme ou
une autre. Toutes étaient également susceptibles de prendre fin, mais les
bouleversements politiques et les guerres pouvaient aussi laisser derrière eux
des bandes de maraudeurs et autres
desperados
pendant un laps de temps considérable, surtout si les gouvernements étaient
faibles ou divisés. Un État moderne aussi efficace que la France d’après la
Révolution fut à même de liquider en quelques années l’immense épidémie de
brigandage (non social) qui envahit la vallée du Rhin dans les années 1790. En
revanche, à la suite des bouleversements sociaux de la guerre de Trente Ans, l’Allemagne
se retrouva avec un réseau de bandes de voleurs dont certaines survécurent pendant
au moins un siècle. Néanmoins, après ces ruptures d’équilibre traditionnelles, la
situation, tout au moins en ce qui concerne la société rurale, a tendance à se
normaliser, et le banditisme, social ou autre, retrouve les proportions
auxquelles on peut généralement s’attendre.
La situation est quelque peu différente quand les événements
qui déclenchent une épidémie de banditisme ne sont pas, pour parler en termes
géographiques, comparables aux tremblements de terre du Japon ou aux
inondations des Pays-Bas, mais reflètent des changements à long terme analogues
à l’avance des glaciers à l’époque glaciaire, ou à des modifications
irréversibles comme l’érosion du sol. Dans ces conditions, les épidémies de
banditisme ne représentent pas que l’action d’un nombre croissant d’hommes
valides qui, plutôt que de mourir de faim, prennent ce dont ils ont besoin par
la force des armes. Ces épidémies peuvent refléter l’éclatement d’une société
tout entière, l’ascension de classes et de structures sociales nouvelles, et la
résistance qu’opposent des communautés ou des peuples à la destruction de leur
mode de vie. Ou, encore, elles peuvent refléter, comme en Chine, l’usure du « mandat
du Ciel », et l’écroulement d’une société, écroulement qui n’est pas dû à
des forces extérieures, mais annonce la fin imminente d’un cycle historique
relativement long, l’effondrement d’une dynastie, et l’avènement d’une nouvelle.
Le banditisme peut alors précéder ou accompagner des mouvements sociaux
importants comme les révolutions paysannes. Il peut également se modifier en s’adaptant
à la nouvelle situation politique et sociale, mais, ce faisant, il cesse
presque à coup sûr d’être un banditisme social. Si on prend le cas typique des
deux derniers siècles, c’est-à-dire le passage d’une économie précapitaliste à
une économie capitaliste, on voit que les transformations sociales peuvent
détruire entièrement le genre de société agraire qui donne naissance aux
bandits et le genre de paysannerie qui les nourrit, mettant ainsi fin à l’histoire
de notre sujet. Le XIX e siècle et le XX e ont été la grande époque du banditisme social dans bien
des points du monde, comme l’ont été un peu partout en Europe le XVI e , le XVII e et le XVIII e siècles. Mais, mis à part quelques régions, il a
aujourd’hui disparu à peu près partout.
En Europe, il n’existe plus à proprement parler que dans les
monts de Sardaigne, bien que deux guerres mondiales et des révolutions lui
aient redonné vie dans plusieurs régions. Mais, dans le sud de l’Italie, où les
banditti
sont une tradition, il
n’atteignit son point culminant qu’il y a un siècle, lors de la grande révolte
paysanne et de la guerre des brigands (1861-1865). En Espagne, autre pays où le
banditisme est un phénomène classique, il était bien connu de tous les
voyageurs du XIX e siècle. À la Belle Époque – d’avant
1914 –, c’est un hasard du tourisme auquel on peut encore s’attendre : Bernard
Shaw le fait figurer dans
Man and
Superman
. Il était néanmoins sur le point de disparaître. Francisco
Rios (« El Pernales »), qui opérait à cette époque, est le dernier
des brigands légendaires d’Andalousie. En Grèce et dans les Balkans, c’est un
souvenir encore plus frais. Dans le Nordeste brésilien, où il devint épidémique
après 1870 pour atteindre son développement maximal dans le
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