Les Bandits
l’avait injurié (elle ignorait à qui elle s’adressait),
l’obligeant à danser nue avec un buisson de cactus jusqu’à ce que mort s’ensuive ;
comment aussi il tua sadiquement un de ses hommes qui l’avait offensé, lui
faisant avaler un litre de sel, etc. Ce bandit est beaucoup plus un homme
terrifiant et sans pitié qu’un ami des pauvres.
Pourtant, chose assez curieuse, Lampiao, qui dans la vie
réelle était indubitablement capricieux et parfois cruel, se considérait comme
un défenseur du bien tout au moins dans un domaine : la moralité sexuelle.
Il faisait châtrer les séducteurs, interdisait à ses hommes
de violer les femmes (vu le prestige attaché à leur profession, le besoin s’en
faisait rarement sentir) et les membres de la bande étaient en majorité choqués
quand ils recevaient l’ordre de tondre une femme et de la renvoyer nue chez
elle, même quand elle était coupable de trahison. Il semble que tout au moins l’un
d’entre eux, Angelo Roque, surnommé Labarêda, qui prit sa retraite pour devenir
portier au palais de justice de Bahia (!), ait eu vraiment les instincts d’un
Robin des Bois. Mais ce n’est pas là la caractéristique dominante du mythe.
À vrai dire, la terreur fait partie de l’image de nombreux bandits :
« Toute la plaine de Vich
Tremble quand je passe »,
déclare le héros d’une des nombreuses ballades à la gloire
des
bandoleros
catalans des XVI e et XVII e siècles, ballades
dans lesquelles « on ne trouve pas beaucoup d’allusions à des gestes de
générosité » (pour reprendre les termes de l’historien Fuster, qui les a
remarquablement étudiées), bien que certains de ces héros populaires soient, par
bien des côtés, des bandits « au grand cœur ». Ils commencent par une
action non criminelle, deviennent des
bandoleros
,
volent les riches et non les pauvres, et doivent demeurer aussi « honorables »
qu’au début, c’est-à-dire ne tuer que « pour défendre leur honneur ».
Quant aux
haïdoucs
qui, eux
non plus, ne donnent pas beaucoup aux pauvres, la terreur, comme nous le
verrons, fait aussi partie intégrante de leur image, mêlée, ici encore, à
certaines des caractéristiques du bandit « au grand cœur ». Enfin la
terreur et la cruauté, jointes à la générosité, se retrouvent dans un
personnage de
desperado
entièrement fictif, Joaquim Murieta, qui, aux premiers temps de la Californie, se
fit le champion des Mexicains contre les Yankees, et qui n’est qu’une invention
littéraire, mais suffisamment plausible pour avoir pénétré le folklore
californien et même l’historiographie. Dans tous les cas que je viens de citer,
le bandit est essentiellement un symbole de puissance et de vengeance.
En revanche, les cas de cruauté aveugle sont rarement le
fait de véritables bandits. C’est peut-être une erreur de qualifier de
banditisme l’épidémie de rage meurtrière dont fut saisi le département de
Huanuco, au Pérou, aux environs de 1917, et qui dura presque jusqu’en 1930, car,
même si le brigandage y avait sa part, il est décrit comme « dû surtout à
la haine et à l’esprit de vendetta ». Et il s’agissait bien à l’origine (on
en a la preuve) d’une situation de vendetta qui dégénéra peu à peu et engendra
chez les hommes cette « fièvre meurtrière » qui les poussa à « brûler,
violer, assassiner, mettre à sac et tout détruire sans réfléchir », et ce
en tout lieu, sauf dans leur communauté ou village d’origine. Un cas encore
plus évident, c’est l’effrayant épisode de
violencia
que connut la Colombie dans les années postérieures à 1948, et qui dépassa
largement le cadre des mœurs en usage chez les bandits sociaux ordinaires. La
violence pathologique, comme fin en soi, n’a jamais été plus saisissante que
dans cette révolte paysanne avortée et qui tourna à l’anarchie, même si, selon
certains, quelques-unes des pires atrocités (par exemple couper les prisonniers
en petits morceaux et à la hache « pour distraire les combattants devenus
fous à force de barbarie », pratique appelée depuis
picar a tamal
) avaient déjà été
commises, dans ce pays sanguinaire, lors de campagnes de guérilla antérieures [83] . La caractéristique
qu’il convient de remarquer à propos de ces épidémies de cruauté et de
massacres, c’est qu’elles sont immorales selon les critères mêmes des
participants. Si, dans le contexte d’une guerre civile
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