Les Bandits
la garde d’un
seigneur, ou de gagner les rangs d’une bande armée qui finit par traiter avec
les structures du pouvoir officiel. C’est pourquoi les rares individus qui ne
choisissent pas ce genre de solution, ou qui, croit-on, sont restés purs, suscitent
autant d’espoir et font l’objet d’une admiration aussi forte, passionnée, et
écrasante. Ils ne sont pas en mesure d’abolir l’oppression. Mais ils arrivent à
prouver que la justice est possible et qu’il n’est pas nécessaire pour les
pauvres d’être humbles, impuissants, et résignés [78] .
C’est pourquoi Robin des Bois est immortel, et c’est
pourquoi on l’invente même quand il n’existe pas vraiment. Les pauvres ont
besoin de lui, car il représente la justice, sans laquelle, comme le remarquait
saint Augustin, les royaumes ne sont que vol à grande échelle. Il est donc
nécessaire aux pauvres, et surtout peut-être quand ils n’ont aucun espoir de
supprimer l’oppression, mais se contentent de chercher à l’alléger ; car, même
lorsqu’ils acceptent à demi la loi qui condamne le brigand, celui-ci représente
la justice divine et une forme de société d’un ordre supérieur et encore
impuissante à naître :
« J’ai obéi aux Écritures
Certes j’ai vécu corrompu
Mais quand j’ai vu mon prochain nu
Je l’ai et nourri et vêtu
Tantôt manteau d’hiver très doux
Tantôt de l’automne un gris-roux
J’ai vêtu ceux qui allaient nus
Nourri ceux qui ne mangeaient plus
J’ai pris aux riches leurs écus
Et les ai chassés de chez nous [79] . »
CHAPITRE
5.
LES VENGEURS
«
Dieu lui-même se
repent presque
D’avoir créé la race humaine
Car tout est injustice
Douleur et vanité
Et quelle que soit sa piété
L’homme ne voit que cruauté
Dans la Majesté Suprême
[80] . »
«
Messieurs, si j’avais su lire et écrire, j’aurais
détruit la race humaine.
»
Michele Caruso, berger et bandit, capturé à Benevento en 1863.
La modération dans le meurtre et la violence est l’apanage
des bandits sociaux, ou tout au moins de leur image. Si on les considère en tant
que groupe, il est bien sûr inutile de s’attendre – et en cela ils ne diffèrent
guère du citoyen moyen – à ce qu’ils se conforment de façon parfaite aux
critères moraux qu’ils acceptent et que le public leur prête. Il est néanmoins
surprenant, à première vue, de rencontrer des bandits qui pratiquent la terreur
et la cruauté dans des proportions telles que leur comportement n’a rien d’accidentel :
à vrai dire, la terreur fait partie intégrante de leur image. Ce sont des héros,
non pas en dépit, mais dans une certaine mesure à cause de la crainte et de l’horreur
qu’ils inspirent. Ce ne sont pas tant des redresseurs de torts que des vengeurs,
des hommes doués de puissance et qui en usent. Leur pouvoir de séduction n’est
pas celui du justicier ; s’ils fascinent, c’est parce qu’ils font la
preuve que même les pauvres et les faibles peuvent être redoutables.
Faut-il considérer ces monstres publics comme une
sous-catégorie particulière à l’intérieur du banditisme social ? C’est
difficile à dire. Le monde moral auquel ils appartiennent (celui qu’expriment
les chansons, les poèmes, et les ouvrages populaires qui leur sont consacrés) comporte
les valeurs du « brigand au grand cœur » tout autant que celles du
monstre. Un poète de village disait du grand Lampiao :
« Il tuait pour le plaisir
Par pure perversité
Et par amour et charité
Il nourrissait les affamés. »
Parmi les
cangaçeiros
du Nordeste brésilien, certains, comme le grand Antonio Silvino (1875-1944, chef
de bandits de 1896 à 1914), sont surtout célèbres pour leurs bonnes actions, d’autres,
comme Rio Preto, pour leur cruauté. Cependant, de façon générale, l’« image »
du
cangaçeiro
combine les
deux éléments. On peut le voir par exemple à travers les récits d’un des bardes
campagnards qui ont chanté le plus célèbre des
cangaçeiros
, Virgulino Ferreira Da Silva (1898-1938), connu
partout sous le nom de « Capitaine » ou de « Lampiao ».
Il naquit, selon la légende (et c’est l’image, plutôt que la
réalité, qui nous intéresse pour l’instant), de parents respectables qui
faisaient de la culture et de l’élevage au pied des montagnes sur les terres
sèches de l’État de Pernambuco, « à une époque où l’arrière-pays était
plutôt prospère » ; c’était
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