Les Bandits
l’autorité
doivent adopter un
modus vivendi
avec les chefs de brigands ; n’importe quel citoyen de New York sait que
la police et la pègre en ont un. Que le roi accorde son pardon et confère des
postes officiels à des bandits célèbres n’a rien d’incroyable ; il y a d’ailleurs
des précédents, par exemple El Tempranillo (Don José) en Andalousie. Et il est
tout aussi plausible que les Robin des Bois, dont l’idéologie est très
exactement la même que celle de la paysannerie qui les entoure, se considèrent
comme « justes et loyaux ». La seule difficulté, c’est que, plus un
bandit se rapproche de l’idéal populaire du « bandit au grand cœur »,
autrement dit plus il acquiert de conscience sociale pour se faire le champion
des droits des pauvres, moins les autorités sont susceptibles de l’accueillir à
bras ouverts. Elles ont au contraire beaucoup plus tendance à le traiter comme
un révolutionnaire social et à le traquer sans pitié.
Cela prend tout au plus deux ou trois ans, soit la durée
moyenne de la carrière d’un Robin des Bois, à moins qu’il n’opère dans une
région très retirée ou ne bénéficie d’appuis politiques considérables [77] (les deux pouvant
se conjuguer). En effet, si les autorités font intervenir les troupes en nombre
suffisant (le résultat n’est pas tant d’effrayer le bandit que de rendre
invivable l’existence des paysans qui le soutiennent) et, si la récompense
promise pour sa capture est suffisamment élevée, ses jours sont comptés. Dans
de pareilles conditions, seule une guérilla moderne et bien organisée est
capable de résister. Mais les Robin des Bois sont très loin des guérilleros
modernes, d’une part parce qu’ils opèrent à la tête de petites bandes, frappées
d’impuissance dès qu’elles quittent leur terrain d’origine, d’autre part parce
que leur organisation et leur idéologie ont des formes par trop archaïques.
Ce ne sont pas à vrai dire des révolutionnaires, ni sur le
plan social ni dans d’autres domaines, même si l’authentique Robin des Bois
sympathise avec les aspirations révolutionnaires de « son » peuple et,
quand il en a la possibilité, participe à ses révoltes. Cet aspect du
banditisme sera examiné dans un autre chapitre. L’objectif d’un Robin des Bois
est relativement modeste. Ce n’est pas contre la pauvreté et l’oppression des
paysans qu’il proteste. Ce qu’il cherche à instaurer ou à restaurer, c’est la
justice, ou les « mœurs d’antan », c’est-à-dire une certaine forme d’honnêteté
dans une société oppressive. Il redresse les torts. Il ne cherche pas à
promouvoir une société fondée sur la liberté et l’égalité. Les triomphes que
rapportent les histoires dont il est le héros sont modestes : il a sauvé
la ferme d’une veuve, il a tué un tyran local, libéré un prisonnier, vengé une
mort injuste. En mettant les choses au mieux – mais ceci est assez rare – il
arrive que, comme Vardarelli en Apulie, il ordonne aux intendants de domaines
de donner du pain à leurs ouvriers agricoles et d’autoriser les pauvres à
glaner, ou qu’il fasse des distributions gratuites de sel, ce qui revient à
supprimer l’impôt. (Cette fonction est importante et explique pourquoi des
contrebandiers professionnels comme Mandrin, héros du mythe du bandit en France
au XVIII e siècle, ont pu accéder sans difficulté à
la gloire qui entoure Robin des Bois.)
Le Robin des Bois ordinaire peut difficilement en faire plus,
même si, comme nous le verrons, il existe des sociétés où le banditisme ne se
présente pas simplement sous la forme d’un héros occasionnel qui s’entoure des
six à vingt hommes qui constituent la bande traditionnelle, mais comme une
institution établie, et ce de façon permanente. Dans ce genre de société, le
potentiel révolutionnaire des brigands est considérablement supérieur (voir
chapitre 5). Le « bandit au grand cœur » traditionnel représente une
forme de protestation sociale extrêmement primitive, peut-être la plus
primitive qui soit. Ce n’est qu’un individu qui refuse de courber l’échine, voilà
tout. La plupart des hommes de cette trempe, placés dans des situations non
révolutionnaires, sont tentés un jour ou l’autre de choisir une solution de
facilité et de devenir des brigands ordinaires, s’attaquant aux pauvres comme
aux riches (sauf peut-être dans leur village natal), de se joindre à
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