Les Bandits
saisonnière. « Ils ont un proverbe, écrit à
propos des Morlacks de Dalmatie un Allemand du XVIII e siècle,
Jurwew dance
,
aidueki sastanee
, à la Saint-Georges, debout
haïdoucs
, rassemblez-vous (en
effet en cette saison le feuillage est abondant et les voyageurs nombreux) [96] . » Les
haïdoucs
bulgares enterraient leurs
armes le jour de la Croix, le 14 septembre, pour ne les reprendre qu’à la
Saint-Georges l’année suivante. À vrai dire que pouvaient faire les
haïdoucs
en hiver, quand il n’y avait
personne à voler sinon des villageois ? Les plus hardis se retiraient
parfois dans leur grotte de montagne après y avoir transporté des provisions, mais
la plupart trouvaient plus pratique de passer l’hiver à chanter des ballades
héroïques et à boire dans des villages amis. Si la saison avait été mauvaise – et
même dans le meilleur des cas, qu’est-ce qu’il y avait à voler sur les petites
routes de Macédoine ou d’Herzégovie ? –, ils pouvaient trouver du travail
chez un paysan riche ou alors ils pouvaient retourner dans leurs familles, car
dans certaines régions montagneuses, « rares étaient les grandes familles
qui n’envoyaient pas quelques-uns de leurs membres chez les
haïdoucs
[97] ». Donc, si
les hors-la-loi vivaient en communautés masculines très strictes, ne
reconnaissant d’autres liens que ceux de « la bande de camarades fidèles
et unis », ils ne le faisaient que pendant la saison des opérations.
Ils menaient ainsi une existence aventureuse et libre dans
les forêts, les grottes de montagne ou les grandes steppes. Leurs armes : le
« fusil de la taille d’un homme », la paire de pistolets passés à la
ceinture, le yatagan et la « tranchante épée franque » ; leur
tunique, sur laquelle se croisaient les cartouchières, était ornée de dentelles
et de dorures ; ils portaient fièrement la moustache et avaient conscience
de ce que, chez leurs ennemis comme chez leurs amis, la gloire était leur
récompense. La mythologie de l’héroïsme et la ritualisation de la ballade en
faisaient des personnages types. Nous ne savons que peu de chose ou rien sur
Novak et ses fils Grujo et Radivoj, sur Mihat le Vacher, Rado de Sokol, Bujadin,
Ivan Visnic et Luka Golowran, si ce n’est qu’ils étaient des
haïdoucs
célèbres dans la Bosnie du XIX e siècle. En effet, ceux (et ils en faisaient partie) qui
chantaient leurs exploits n’avaient pas besoin de raconter à leur public à quoi
ressemblait la vie d’un paysan ou d’un berger de Bosnie. C’est seulement de
temps en temps que le voile de l’anonymat héroïque est levé et que l’histoire
peut éclaircir, tout au moins partiellement, une carrière de
haïdouc.
C’est le cas pour le
voïvode
Korco, fils d’un berger au service d’un bey turc dans la région de Strumica (Macédoine).
Une épidémie anéantit le troupeau et le bey fit emprisonner le père de Korco. Celui-ci
gagna la montagne d’où il menaça le Turc, mais en vain : le père mourut en
prison. À la tête d’une bande de
haïdoucs
,
Korco s’empara d’un jeune « noble » turc, lui brisa bras et jambes, lui
coupa la tête et la promena dans les villages chrétiens à l’extrémité d’une
lance. Il fut
haïdouc
pendant
dix ans, puis il acheta quelques mules, échangea le costume de
haïdouc
contre celui de marchand, et
disparut – tout au moins du monde des récits héroïques – pendant une autre
dizaine d’années. À la fin de cette période, il réapparut à la tête de trois
cents hommes (n’examinons pas de trop près les chiffres ronds de l’épopée) et
se mit au service du redoutable Pasvan (Osman Pasvanoglu, musulman de Bosnie
qui devint pacha de Vidin), qui, hostile à la Porte ottomane, dirigeait les
farouches formations de
krdzali
contre
les loyaux serviteurs du sultan. Korco ne resta pas longtemps à son service. Reprenant
son indépendance, il attaqua la ville de Strumica, non seulement parce que les
haïdoucs
, en tant que paysans, n’éprouvaient
que haine et méfiance pour les villes, mais aussi parce que celle-ci abritait
le bey responsable de la mort de son père. Il prit Strumica, tua le bey et
massacra la population. Puis il retourna à Vidin et l’histoire ou la légende
perdent alors sa trace. On ne sait rien de sa fin. Comme l’époque des raids
krdzali
ont eu lieu autour des années
1790-1800, on peut en gros situer sa carrière dans le temps. Son histoire est
racontée par
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