Les Bandits
système économique, social et politique. Cet aspect, généralement
négligé, du brigandage mérite d’être examiné.
Voyons tout d’abord l’aspect économique du banditisme. Il
faut bien que les brigands mangent et s’approvisionnent en armes et en
munitions ; il faut aussi qu’ils dépensent l’argent qu’ils volent et
puissent vendre leur butin. Il arrive – c’est le cas le plus simple – que leurs
besoins soient très peu différents de ceux des paysans ou des bergers locaux et
qu’ils se contentent de leur nourriture, de leur boisson et de leur habillement
pour peu qu’ils puissent se les procurer en abondance et sans travailler comme
tout le monde. « Personne ne leur refuse jamais rien, déclare un
propriétaire terrien du Brésil. Ce serait stupide. Les gens leur donnent de la
nourriture, des vêtements, des cigarettes et de l’alcool. Ils n’ont aucun
besoin d’argent. Qu’est-ce qu’ils en feraient ? Ils achèteraient la police,
un point c’est tout [99] . »
Néanmoins, même si ce n’est pas le cas de la paysannerie qui les entoure, la
plupart des bandits dont nous avons connaissance vivent à l’intérieur d’une
économie monétaire. Où et comment se procureraient-ils leur « tunique
ornée de cinq rangs de boutons dorés », leurs fusils, leurs pistolets, leurs
cartouchières et ces « sabres damascènes à la poignée plaquée d’or »
qui faisaient – et souvent ils n’exagéraient pas beaucoup [100] – la fierté des
haïdoucs
de Serbie et des
clephtes
grecs ?
Que font-ils du bétail volé et des biens dérobés au marchand
sur la route ? Ils les vendent, puis ils achètent. De fait, comme ils ont
en général beaucoup plus d’argent liquide que la plupart des paysans locaux, il
arrive que leurs dépenses jouent un rôle important dans le secteur moderne de l’économie
locale. Elles sont en effet redistribuées par l’intermédiaire des boutiquiers, aubergistes
et autres commerçants locaux dans les couches moyennes du commerce rural, d’autant
plus que les bandits (à la différence de l’aristocratie terrienne) dépensent
presque tout leur argent sur place et sont à la fois trop fiers et trop
insouciants pour marchander. « À Lampiao, le marchand fait payer trois
fois le prix normal », disait-on en 1930.
Cela veut dire que les bandits ont besoin d’intermédiaires, qui
leur servent de lien non seulement avec le reste de l’économie locale, mais
aussi avec de plus grands réseaux commerciaux. Tout comme Pancho Villa, ils
doivent être en bons termes avec au moins une
hacienda
, située de l’autre côté de la montagne, et qui
leur achète ou s’arrange pour vendre le bétail sans poser de questions
embarrassantes. Ils peuvent, comme les semi-nomades de Tunisie, mettre au point
une politique d’arrangements qui consiste à rendre le bétail volé moyennant une
« récompense », et utiliser les services d’intermédiaires sédentaires,
aubergistes ou autres, qui vont trouver la victime pour lui expliquer – le sens
du message est clair pour tout le monde – que les bêtes égarées ont été « trouvées »
par quelqu’un dont le plus cher désir est de les rendre à leur propriétaire. Il
arrive aussi, c’est le cas de nombreux groupes dacoïts en Inde, que, pour
financer de grandes expéditions, ils empruntent de l’argent à des prêteurs ou
des négociants locaux, ou même qu’ils attaquent une riche caravane, pour ainsi
dire sur commande, pour des gens qui la leur signalent. En effet, les bandits
spécialisés dans l’attaque des convois de passage – c’est-à-dire tous les
bandits intelligents qui ont la chance de vivre à proximité de grandes routes
commerciales et de grands axes de communication – ont besoin de renseignements
sur ces convois ainsi que de certaines filières pour la vente du butin, qui n’est
pas toujours de nature à susciter la demande locale.
De toute évidence, la pratique des enlèvements, qui ont
longtemps constitué – et qui demeurent – la source de revenu la plus lucrative
pour les bandits, nécessite le recours à des intermédiaires. Dans la mesure où
les rançons sont généralement payées en liquide ou en nature, elles s’inscrivent
dans le cadre plus large de l’économie monétaire. En Chine, l’enlèvement était
si commun qu’on pouvait y voir « une sorte d’impôt non officiel sur la
richesse auquel étaient soumis les propriétaires locaux »,
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