Les Bandits
au bandit, qui de surcroît peut avoir un
rayon d’action considérable, de maintenir la séparation entre ces deux rôles. Son
équivalent urbain (gangster, ou chef local d’une machine politique dans les
quartiers d’immigrants aux taudis surpeuplés) représente aussi, en un sens, les
pauvres contre les riches et parfois donne aux premiers une partie du butin
arraché aux seconds, mais il est bien plus un chef qu’un rebelle ou un
hors-la-loi. Ses liens avec les centres de la richesse et du pouvoir officiels
(par exemple avec l’hôtel de ville) sont beaucoup plus évidents et peuvent même
constituer sa caractéristique principale. Le bandit rural, lui, peut se tenir
ostensiblement à l’extérieur du « système ». Ses liens personnels
avec le monde peuvent être simplement des liens de parenté ou d’appartenance à
une communauté villageoise : en d’autres termes, il peut en apparence
appartenir totalement au monde indépendant dans lequel vivent les paysans, et
où la noblesse, le gouvernement, la police, les collecteurs d’impôts et les
occupants étrangers ne font que des incursions périodiques. Par ailleurs, ses
rapports, en tant que chef d’une bande armée mobile et indépendante, avec les
centres de la richesse et du pouvoir peuvent apparaître tout simplement comme
les rapports qu’une entité souveraine est susceptible d’entretenir avec d’autres,
et n’affectent pas plus sa réputation que des négociations commerciales avec la
Grande-Bretagne ne mettent en question le statut révolutionnaire de Cuba et de
Fidel Castro. Cependant, les bandits, vivant dans une société fondée sur la loi
et l’exploitation, ne peuvent en éviter les conséquences logiques.
En effet, l’une des caractéristiques essentielles du bandit,
c’est que, à côté de son besoin de contacts commerciaux, il constitue le noyau
d’une force armée, donc une force politique. Tout d’abord, une bande représente
quelque chose avec quoi le système local doit composer. Là où n’existent pas de
moyens réguliers et efficaces pour le maintien de l’ordre public – et c’est, presque
par définition, le cas de toutes les régions où les bandits sont nombreux –, demander
la protection des autorités ne sert pas à grand-chose, d’autant plus que ce
genre de demande est susceptible d’entraîner l’envoi d’un corps expéditionnaire
dont on peut être sûr qu’il fera plus de ravages que les bandits locaux :
« Je préfère de beaucoup avoir affaire aux bandits qu’à
la police, déclarait un propriétaire terrien du Brésil aux environs de 1930. Les
policiers sont une bande de tueurs qui arrivent de la capitale persuadés que
tous les gens de l’intérieur protègent les bandits. Ils pensent que nous
connaissons tous leurs itinéraires de repli, et leur principal objectif est
donc d’obtenir des confessions à tout prix […]. Quand on dit qu’on ne sait rien,
ils tapent. Quand on leur donne des informations, ils continuent à taper, parce
que cela prouve qu’on a partie liée avec les bandits, […] on est toujours
perdant […].
– Et les bandits ?
– Eh bien les bandits se conduisent comme des bandits. Remarquez,
il faut savoir les prendre, si on ne veut pas d’ennuis. Mais enfin, mis à part
quelques-uns qui sont vraiment cruels, ils ne sont dangereux que quand ils ont
la police à leurs trousses [103] . »
Dans ces régions, les propriétaires de domaines isolés
savent depuis longtemps comment établir des rapports diplomatiques avec les
bandits. Des femmes de bonne famille racontent dans leurs mémoires que, quand
elles étaient enfants, on les emmenait précipitamment à l’écart lorsqu’une
troupe d’hommes armés arrivaient à l’
hacienda
à la tombée de la nuit. Ils étaient poliment accueillis par le maître de maison,
qui leur offrait l’hospitalité, et ils ne reprenaient leur route qu’après un
nouvel échange de politesses et des assurances de respect mutuel. Il n’y avait
pas autre chose à faire.
Tout le monde doit traiter avec les bandits quand ils sont
nombreux et bien implantés, ce qui signifie que, dans une certaine mesure, ils
sont intégrés à la société établie. L’idéal, c’est, bien entendu, la
transformation du braconnier en garde-chasse, transformation qui d’ailleurs est
loin d’être rare. Il arrive que des seigneurs ou le tsar donnent de la terre et
des privilèges à des cosaques qui, en contrepartie, renoncent au pillage
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