Les Bandits
entre autres
choses, sauter des pylônes, et c’était l’un des rares guérilleros dont l’action
fût quelque peu cohérente. Manolo, qui manquait d’expérience, se perdit dans
les collines à la suite d’une escarmouche avec la police et fut arrêté. Avec le
nom qu’il portait, il ne risquait pas d’échapper à l’exécution. Il fut fusillé
en 1950, ne laissant derrière lui qu’une montre fabriquée en France.
Pour lors, Sabaté n’était plus en Espagne et il allait en
rester éloigné pendant près de six ans à la suite d’un certain nombre d’ennuis,
surtout avec la police française.
Ces ennuis avaient commencé en 1948, lorsqu’il fut arrêté à
la frontière par un gendarme à l’occasion d’un des innombrables voyages qu’il
faisait dans une voiture conduite par un chauffeur (Sabaté avait toujours aimé
les moyens de transport qui lui permettaient de garder les mains libres). Il
perdit la tête et s’enfuit. La police mit la main sur son arme et, plus tard, dans
sa ferme de Coustouges, sur tout un matériel composé d’explosifs, de radios, etc.
En novembre, il fut condamné par contumace à trois ans de prison et à une
amende de 50 000 francs. Après avoir été conseillé, il fit appel et, en
juin 1949, se vit infliger une peine anodine de deux mois de prison, qui fut
par la suite transformée en peine de six mois, assortie de cinq ans d’interdiction
de séjour. Ses incursions à la frontière allaient désormais être illégales, même
en France, et il allait devoir vivre loin des Pyrénées et sous surveillance
policière.
En fait, il resta en prison pendant un an, car la police
française l’impliqua dans une autre affaire beaucoup plus sérieuse, un hold-up
à l’usine Rhône-Poulenc en mai 1948, hold-up à la suite duquel un gardien de l’usine
était mort. Cela montre bien le manque ahurissant de réalisme des activistes :
alors que leur existence même dépendait de la bienveillance et de l’indifférence
des autorités françaises, ils n’hésitaient pas, pour le bien de la cause, à
exproprier la bourgeoisie à Lyon aussi bien qu’à Barcelone. (Seul Facerias eut
l’intelligence de ne pas le faire : lui, c’est en Italie qu’il dévalisait
des banques non espagnoles.) Autre phénomène caractéristique, ils laissaient
derrière eux une piste aussi facile à suivre qu’une autoroute. Grâce à de très
bons avocats, la culpabilité de Sabaté ne fut jamais vraiment établie, bien que
la police, perdant patience, lui eût arraché une confession après l’avoir passé
à tabac pendant plusieurs jours ; c’est du moins la thèse de ses avocats, et
elle est assez plausible. Après quatre non-lieux, l’affaire était encore en
suspens au moment de sa mort. Quoi qu’il en soit, et sans parler des soucis qu’elle
lui occasionna, cette affaire lui coûta près de deux ans de prison.
Quand il put commencer à respirer un peu, ne fût-ce que
temporairement, Sabaté découvrit que la situation politique était totalement
modifiée. Au début des années 1950, tous les partis avaient abandonné la
guérilla pour une tactique plus réaliste. Les militants se retrouvaient seuls.
Le coup était fatal. Sabaté, bien qu’incapable d’obéir à un
ordre qu’il n’approuvait pas, était un homme loyal. C’était pour lui une
douleur presque physique que de ne pas avoir l’approbation de ses camarades et,
jusqu’à sa mort, il essaya constamment, mais sans succès, de la regagner. On
lui proposa bien de s’installer en Amérique latine, mais cette proposition n’était
pas de nature à faire passer la pilule. Autant offrir à Othello un poste
consulaire à Paris en échange de son armée. En avril 1955, Sabaté était de
retour à Barcelone. Au début de l’année 1956, il monta une opération en commun
avec Facerias, mais ces deux individualistes ne tardèrent pas à se séparer. Sabaté
resta pendant quelques mois à Barcelone, où il publia un petit journal,
El Combate
, et attaqua la Banco Central
avec un ami et à l’aide d’une fausse bombe. En novembre, il revenait pour un
hold-up à la grosse usine de textile de Cubiertos y Tajados, qui rapporta près
d’un million de pesetas.
La police française, renseignée par la police espagnole, retrouva
sa trace. Il perdit sa base de La Preste et fut à nouveau emprisonné. Il sortit
de prison en mai 1958, mais tomba malade dans les mois suivants, après avoir
subi une grave opération pour des
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