Les Bandits
midi ; Francisco
Sabaté Llopart, « Quico ». Il reste présent à notre mémoire en
compagnie d’autres héros, et c’est justice.
CHAPITRE
10.
LE BANDIT COMME SYMBOLE
Nous n’avons jusqu’à présent examiné que la réalité des
bandits sociaux et nous n’avons étudié leur légende ou leur mythe que pour
éclairer cette réalité, le rôle social qu’ils sont censés jouer (et par
conséquent jouent souvent) et leur relation idéale (donc souvent réelle) avec
le peuple. Pourtant ces légendes n’agissent pas simplement sur les gens
habitués à tel ou tel type de bandit. Elles sont en fait bien plus largement et
plus généralement répandues. Le bandit n’est pas qu’un homme, c’est aussi un
symbole. Aussi devons-nous, au terme de cette étude, examiner ces aspects moins
immédiats du banditisme. Ils sont curieux pour au moins deux raisons.
La légende du bandit parmi les paysans eux-mêmes a quelque
chose de singulier en ce sens que de célèbres hors-la-loi, en dépit de leur
immense prestige personnel, ne connaissent qu’une réputation quelque peu
éphémère. Robin des Bois, qui, à bien des égards, représente pourtant la
quintessence de la légende du bandit, est lui aussi, dans ce domaine comme dans
tant d’autres, en quelque sorte atypique. Le vrai Robin des Bois, l’original, n’a
jamais été identifié de manière incontestable, alors que tous les autres
bandits-héros pour lesquels j’ai pu procéder à des vérifications peuvent être
rattachés, si mythologiques qu’ils soient devenus, à un individu identifiable
vivant dans une localité précise. Si Robin des Bois a existé, ce fut avant le XIV e siècle, époque à laquelle le cycle de sa légende est
pour la première fois couché par écrit. Cette légende est donc populaire depuis
au moins six cents ans. Tous les autres bandits-héros mentionnés dans cet
ouvrage (à l’exception des protagonistes des romans populaires chinois) sont
beaucoup plus récents. Stenka Razin, le chef rebelle des pauvres de Russie, date
des années 1670, mais la plupart des personnages dont la légende était vivante
au XIX e siècle – où l’on se mit à collectionner
systématiquement les ballades – appartiennent au XVIII e ,
qui ainsi semble être l’âge d’or des bandits-héros : c’est le cas de
Janosik en Slovaquie, de Diego Corrientes en Andalousie, de Mandrin en France, de
Rob Roy en Écosse, et des criminels admis au panthéon du bandit social, par
exemple Dick Turpin, Cartouche et Schinderhannes. Même dans les Balkans, où l’histoire
écrite des
haïdoucs
et des
clephtes
commence au XV e siècle, les premiers héros clephtes à survivre en tant
que tels dans les ballades sont, semble-t-il, Christos Millionis (années 1740) et
Bukovallas, qui lui était postérieur. Il est inconcevable que pareils hommes n’aient
pas été plus tôt le sujet de chansons et d’histoires. De grands bandits
insurgés comme Marco Sciarra à la fin du XVI e siècle
ont eu nécessairement leur légende. L’un au moins des grands bandits de cette
époque extrêmement agitée – Serralonga en Catalogne – devint un héros populaire
dont on se souvenait encore au XIX e siècle, mais c’est
peut-être un cas inhabituel. Pourquoi donc la plupart d’entre eux sont-ils
oubliés ?
Il est possible que la culture populaire de l’Europe
occidentale ait connu certains changements susceptibles d’expliquer la
floraison du mythe du bandit au XVIII e siècle, mais
ils ne sauraient rendre compte de l’apparition du même phénomène au même moment
en Europe orientale. On pourrait suggérer qu’une culture purement orale – or
ceux qui perpétuaient la gloire des bandits-héros étaient illettrés – a la vie
relativement brève. Au-delà d’un certain nombre de générations, le héros
individuel est absorbé, dans la mémoire des hommes, par l’image collective des
héros légendaires du passé, l’homme se fond dans le mythe et le symbolisme
rituel, si bien qu’à partir de ce moment-là le héros qui, comme Robin des Bois,
n’est pas tombé dans l’oubli, ne peut plus être replacé dans le contexte de l’histoire
réelle. Cette explication est probablement vraie, mais pas entièrement. En
effet la tradition orale peut se perpétuer au-delà de dix ou douze générations.
Carlo Levi rapporte que, dans les années 1930, les paysans de la Basilicate
avaient un souvenir très vif, bien qu’imprécis, de deux épisodes qui, pour
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