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Les Bandits

Les Bandits

Titel: Les Bandits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E. J. Hobsawm
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un dernier policier avant de tomber au coin de la
Calle San Jose et de la Calle San Tecla.
    « S’il n’avait pas été blessé, dit-on à San Celoni, jamais
ils ne l’auraient eu ; la police avait trop peur de lui. » Mais la
plus belle épitaphe est celle qu’un de ses amis, maçon à Perpignan, prononça
devant la Vénus de Maillol qui embellit le centre de cette ville charmante.
« Quand nous étions jeunes, et que la République fut fondée, nous étions
des combattants, mais avec une âme (
caballeresco
pero espiritual
). Nous avons vieilli, mais pas Sabaté. C’était, par
nature, un guérillero. Oui, c’était un de ces Don Quichotte que produit l’Espagne. »
C’était dit, peut-être à juste titre, sans aucune ironie.
    Mais il eut mieux que des épitaphes : il reçut l’accolade
finale, celle que reçoit le bandit-héros et le champion des opprimés lorsqu’on
se refuse à croire à sa mort. « On raconte, dit un chauffeur de taxi
quelques mois après sa mort, qu’ils firent venir son père et sa sœur pour
identifier le corps ; ils le regardèrent et dirent : ce n’est pas lui,
c’est quelqu’un d’autre. » L’histoire était fausse mais, sur le plan
spirituel, elle était vraie, car c’était le genre d’homme qui méritait cette
légende. Mieux : dont la seule récompense pouvait être cette légende
héroïque. Si on prend des critères rationnels et réalistes, sa carrière fut un
gâchis. Il ne réalisa jamais rien et même le produit de ses vols fut de plus en
plus englouti par les dépenses croissantes que nécessitait sa
semi-clandestinité – faux papiers, armes, pots-de-vin, etc. –, si bien qu’il ne
restait presque rien pour la propagande. Il ne donna même jamais l’impression
de pouvoir arriver à quoi que ce soit, sinon à faire condamner à mort tous ceux
dont on savait qu’ils étaient en rapport avec lui. La justification théorique
de l’insurgé, à savoir que la simple volonté de faire la révolution peut servir
de catalyseur et créer objectivement des conditions révolutionnaires, ne
pouvait s’appliquer à Sabaté, car il était impensable que son action et celle
de ses amis pussent amener un large mouvement. Leur propre justification était
plus simple et plus homérique : puisque les hommes sont bons, braves et
purs de nature, le simple spectacle de la générosité et du courage, pour peu qu’il
soit répété assez souvent, doit finir par leur faire honte et les sortir de
leur torpeur. Mais cet argument-là n’avait pas non plus beaucoup de chances de
succès. Il ne pouvait en sortir qu’une légende.
    Par sa pureté et sa simplicité, Sabaté était fait pour
devenir légendaire. Il vécut et mourut dans la pauvreté. La femme du célèbre
pilleur de banques travailla comme servante jusqu’à la fin de ses jours. Les
banques, Sabaté ne les pillait pas simplement pour de l’argent, mais, comme le
torero qui affronte des taureaux, pour faire preuve de son courage. Pas
question pour lui d’imiter l’astucieux Facerias, qui avait découvert le moyen
le plus sûr de trouver de l’argent : il suffisait de faire une descente
dans un certain type d’hôtel à deux heures du matin ; on pouvait être sûr
que les bons bourgeois qui s’y trouvaient au lit avec leur maîtresse étaient
prêts à donner ce qu’ils avaient et n’appelleraient pas la police [128] . Prendre de l’argent
sans prendre de risques n’était pas digne d’un homme – pour cette raison Sabaté
préféra toujours attaquer une banque avec moins d’hommes qu’il n’en fallait – et,
inversement, prendre de l’argent en risquant sa vie, c’était un peu, au sens
moral, en
payer
le prix. Aller
toujours
au-devant
des
policiers n’était pas seulement, sur le plan psychologique, une bonne tactique,
c’était aussi la manière du héros. Sabaté aurait certainement pu obliger les
conducteurs du train à foncer droit sans s’arrêter, même si cela ne lui avait
pas servi à grand-chose. Mais, moralement, il ne pouvait pas courir le risque
de tuer des hommes qui n’étaient pas ses ennemis.
    Il n’y a pas de figure légendaire qui ne soit une épure. Il
n’y a pas de héros tragique sans ce dépouillement total qui lui permet de se
découper sur l’horizon dans l’attitude qui résume le sens profond de son rôle :
Don Quichotte et ses moulins ; les combattants de l’Ouest mythique, seuls
avec leur colt dans une rue vide, sous la lumière blanche de

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