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Les Bandits

Les Bandits

Titel: Les Bandits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E. J. Hobsawm
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eux,
faisaient partie de « leur propre » histoire : l’époque des
brigands, soixante-dix ans plus tôt, et l’époque, vieille de plusieurs siècles,
des grands empereurs Hohenstaufen. La triste vérité, c’est probablement que les
héros des époques lointaines survivent parce qu’ils ne sont pas
seulement
les héros des paysans. Les
grands empereurs avaient leurs clercs, leurs chroniqueurs et leurs poètes, ils
ont laissé d’immenses monuments de pierre, ils représentent non pas les
habitants d’un coin perdu des montagnes (qui ressemble à tant d’autres coins
perdus), mais des États, des empires, des peuples. Aussi Skanderbeg et Marko
Kraljevic survivent depuis le Moyen Âge dans les récits épiques d’Albanie et de
Serbie, mais Mihat le vacher et Juhasz Andras (Andras le Berger), contre qui
    « Aucun fusil ne peut rien
    Et qui attrape de sa main nue
    Les balles que lui envoient les Pandurs [129]  »
    finissent par disparaître. Le grand bandit est plus fort que
le paysan ordinaire, il est plus célèbre et on se souvient plus longtemps de son
nom, mais il n’en est pas moins mortel. S’il est immortel, c’est seulement
parce qu’il y aura toujours un autre Mihat ou un autre Andras pour prendre son
fusil et gagner les collines ou les grandes plaines.
    L’autre particularité du banditisme est mieux connue. Les
bandits appartiennent à la paysannerie. Si on accepte la thèse que j’ai
soutenue dans cet ouvrage, on ne peut les comprendre que dans le contexte d’une
société paysanne dont on peut dire, sans beaucoup s’avancer, qu’elle est aussi
éloignée de la plupart des lecteurs que l’ancienne Égypte, et que l’histoire
lui réserve certainement le même sort qu’à l’âge de pierre. Pourtant – et c’est
cela qui est étrange et déconcertant – le
mythe
du bandit a toujours exercé sa fascination bien au-delà des limites de son
territoire d’origine. En Allemagne, les historiens de la littérature ont
inventé une catégorie littéraire bien distincte, le
Räuberromantik
(« roman des bandits ») qui
abonde en œuvres (
Räuberromane
)
dont l’apanage n’est pas du tout réservé aux Allemands et dont aucune n’a été
écrite pour des paysans ou des bandits. Le sous-produit caractéristique de ce
genre, c’est le bandit-héros purement fictif, Rinaldo Rinaldini ou Joaquim
Murieta. Autre phénomène encore plus remarquable, le bandit-héros survit même à
l’époque de la révolution industrielle de la culture et apparaît dans les
mass media
de la vie urbaine à la fin
du XX e siècle, soit sous sa forme d’origine dans
des émissions de télévision consacrées à Robin des Bois et à ses joyeux
compagnons, soit sous une forme plus moderne, devenant alors héros de western
ou gangster.
    Que le banditisme social soit reflété par la culture
officielle des pays où il est endémique, c’est tout à fait normal. Cervantes
introduisit tout naturellement dans son œuvre les célèbres brigands espagnols
de la fin du XVI e siècle, et Walter Scott fit de
même avec Rob Roy. Des écrivains hongrois, roumains, tchèques et turcs
consacrent des romans à des bandits-héros réels ou imaginaires [130] . Modernisant le
genre – et le déformant légèrement – un romancier mexicain soucieux de
discréditer le mythe tente de ramener le héros aux proportions d’un criminel
ordinaire dans
Los Bandidos del Rio Frio
.
Dans ces pays, les bandits et le mythe du bandit font partie de la vie, ce sont
des faits importants qu’il est impossible de négliger.
    Le mythe du bandit est également compréhensible dans les
pays hautement urbanisés, mais qui possèdent encore quelques espaces vides, des
« terres vierges » ou un « Ouest », qui leur rappellent un
passé héroïque, parfois imaginaire, donnent à la nostalgie un champ sur lequel
elle peut s’exercer concrètement, symbolisent la pureté perdue et représentent
un territoire indien spirituel, vers lequel l’homme peut imaginer que, tel Ruck
Finn, il « décampe » quand les contraintes de la civilisation
deviennent trop lourdes. Là Ned Kelly, hors-la-loi et coureur des bois, continue
d’errer, tel que l’a peint l’Australien Sidney Nolan, fantomatique, tragique, menaçant
et fragile dans son armure bricolée, traversant sans arrêt la campagne
australienne brûlée par le soleil, attendant la mort.
    L’image culturelle du bandit, image littéraire ou populaire,
est donc un document sur la vie

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