Les Bandits
contemporaine dans les sociétés archaïques et
représente, dans les sociétés avancées, la nostalgie de l’innocence perdue et
de l’aventure. Mais elle n’est pas que cela. Si l’on fait abstraction du cadre
local et social du brigandage, il reste une émotion et un rôle permanents ;
il reste la liberté, l’héroïsme, et le rêve de justice.
Le mythe de Robin des Bois insiste sur le premier idéal et
sur le dernier. Ce qui, de la vie dans la forêt à l’époque médiévale, demeure
aujourd’hui sur les écrans de télévision, ce sont des hommes libres et égaux, unis
par la camaraderie, invulnérables à l’autorité et qui sont les champions des
pauvres et des victimes de l’oppression et de l’imposture. La version classique
du mythe du bandit dans la culture des élites met l’accent sur les mêmes
éléments.
Les Brigands
de
Schiller sont un hymne à la vie libre dans la forêt, et le chef, le noble Karl
Moor, se rend afin qu’un pauvre soit sauvé par la récompense promise pour sa
capture. Le western et le film de gangsters soulignent le second idéal, l’héroïsme,
quitte à s’opposer à la moralité conventionnelle, qui n’attribue l’héroïsme aux
gunfighters
que s’ils sont
moralement bons ou tout au moins ambigus. Pourtant, c’est indéniable, le bandit
est brave, à la fois dans l’action et comme victime. Il sait mourir, gardant
jusqu’au bout un air de défi et c’est un homme auquel peuvent s’identifier les
innombrables adolescents des bas-quartiers et des faubourgs, qui ne possèdent
que ces dons répandus mais précieux que sont la force et le courage. Dans une
société où les hommes vivent soumis, esclaves de machines de métal ou rouages
de la machine humaine, le bandit, dans la mort comme dans la vie, refuse de se
courber. Il n’est pas donné – on l’a déjà vu – à tous les bandits légendaires
de survivre et d’alimenter les rêves des citadins frustrés. En fait, les grands
bandits de l’histoire ne résistent presque jamais au passage d’une société
agraire à une société industrielle, sauf quand ils en sont pratiquement
contemporains ou qu’ils ont auparavant été embaumés par les soins de la
littérature, grande spécialiste de la préservation. Au milieu des gratte-ciel
de Sao Paulo, on imprime aujourd’hui des petits livres bon marché consacrés à
Lampiao, parce que les millions de personnes appartenant à la première
génération des immigrants venus du Nordeste brésilien ont toutes entendu parler
du grand
cangaçeiro
, qui fut
tué en 1938, date à laquelle étaient déjà sur terre tous ceux qui ont plus de
trente ans. Inversement, si les Anglais et les Américains du XX e siècle connaissent Robin des Bois « qui prenait
aux riches pour donner aux pauvres », et si les Chinois du XX e siècle connaissent « Sung chiang la Pluie
Bienfaisante […] qui aide ceux qui sont dans le besoin et fait peu de cas de l’argent »,
c’est parce que l’écriture et l’imprimerie ont fait d’une tradition locale et
orale une tradition nationale et permanente. On pourrait dire que ce sont les
intellectuels qui ont permis la survie des bandits.
En un sens, c’est encore vrai aujourd’hui. La redécouverte
des bandits sociaux à notre époque est l’œuvre d’intellectuels – écrivains, cinéastes,
et même historiens. Ce livre est une contribution à cette redécouverte. J’ai
essayé d’y expliquer le phénomène du banditisme social, mais aussi d’y
présenter des héros, Janosik, Rosza Sandor, Dovbus, Doncho Vatach, Diego
Corrientes, Jancu Jiano, Musolino, Giuliano, Bukovallas, Mihat le Vacher, Andras
le Berger, Santanon, Serralonga et Garcia : un défilé continuel de
guerriers qui ont la vitesse du cerf, la noblesse de l’aigle et la ruse du
renard. À l’exception de quelques-uns d’entre eux, ils ne furent jamais connus
que dans leur lieu de naissance et dans un rayon de moins de cinquante
kilomètres, et pourtant ils eurent autant d’importance pour leur peuple que des
Napoléon et des Bismarck ; sans doute plus d’importance que le vrai
Napoléon et le vrai Bismarck. Quand un homme est insignifiant, il ne devient
pas, comme Janosik, le sujet de centaines de chansons, pleines d’orgueil et de
nostalgie :
« Le coucou a chanté
Sur la branche sèche
Ils ont tué Shuhaj
Et les temps sont durs [131] . »
Car les bandits appartiennent à l’histoire qui reste dans la
mémoire et qui diffère de
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