Les Bandits
l’histoire officielle, celle des livres. Ils font
moins partie de l’histoire qui décrit les événements et ceux qui les ont
façonnés que de celle qui présente les symboles des facteurs, théoriquement
contrôlables mais en réalité incontrôlés, qui déterminent le monde des pauvres :
les rois justes et les hommes qui apportent la justice au peuple. C’est
pourquoi la légende du bandit arrive encore à nous émouvoir. Mais laissons le
dernier mot à Ivan Olbracht, car personne ou presque n’a, mieux que lui, parlé
de ce sujet :
« L’homme a une soif inextinguible de justice. Au fond de
son cœur, il se rebelle contre un ordre social qui la lui refuse, et, quel que
soit le monde dans lequel il vit, il accuse d’injustice soit cet ordre social, soit
l’univers tout entier. Il est envahi par une exigence étrange et inflexible qui
lui commande de se souvenir et le pousse à la réflexion et au changement ;
de plus, il porte en lui le désir d’avoir ce qu’il n’a pas, ne serait-ce que sous
la forme d’un conte de fées. C’est là peut-être le fondement des sagas
héroïques de tous les âges, de toutes les religions, de tous les peuples, et de
toutes les classes [132] . »
C’est aussi vrai de notre temps. C’est pourquoi Robin des
Bois est également, et demeurera, notre héros.
ANNEXE A.
LES FEMMES ET LE BANDITISME
Les bandits aiment les femmes, la chose est bien connue, et
leur orgueil et leur rang les poussent à faire ainsi la preuve de leur virilité.
Aussi, la fonction des femmes au sein du banditisme est-elle le plus
généralement une fonction amoureuse. Il arrive que les bandits antisociaux
ajoutent à leur activité sexuelle la pratique du viol, qui peut, en certaines
circonstances, garantir le silence des victimes. (« Ils disaient qu’ils
nous faisaient tout cela pour nous empêcher de parler, tellement nous aurions
honte, et pour montrer de quoi ils étaient capables », déclara une
Colombienne aux guérilleros auxquels elle se joignit ensuite [133] .) Cependant, comme
le remarquait Machiavel il y a longtemps, qui fait violence aux femmes devient
inévitablement impopulaire, et les bandits qui comptent sur le soutien ou la
complicité du peuple doivent tenir la bride à leurs instincts.
Dans la bande de Lampiao, le viol était interdit (« sauf
pour des raisons valables », c’est-à-dire vraisemblablement en signe de
châtiment ou de vengeance, ou encore pour répandre la terreur). Dans les
guérillas paysannes, cette règle est appliquée avec la plus grande rigueur :
« Nous expliquons la règle : un guérillero qui viole une femme, quelle
qu’elle soit, passe en cour martiale. » Mais, chez les guérilleros comme
chez les bandits, « si la chose est naturelle et si la femme est d’accord,
alors il n’y a aucun problème [134] ».
Les bandits vont rendre visite à leurs amies, ce qui facilite
la polygynie
de facto
. Mais
on sait que, dans certains cas, il est arrivé à des femmes de partager la vie
errante des bandits, bien que les bandes qui autorisent systématiquement cette
pratique soient probablement peu nombreuses. Il semble que la bande de Lampiao
ait été la seule dans le Nordeste brésilien. Et même dans ce cas, les hommes, lorsqu’ils
partaient pour une expédition particulièrement longue et dangereuse, préféraient
laisser les femmes derrière eux, souvent contre leur gré ; en effet,
« par respect pour sa compagne régulière [135] », un homme
pouvait difficilement, en sa présence, se livrer à des aventures amoureuses.
De façon générale, la femme, à l’intérieur d’une bande, ne
sortait pas de son rôle sexuel. Elle ne portait pas d’arme à feu, et normalement
ne participait pas aux combats. Maria Bonita, la femme de Lampiao, « brodait,
cousait, cuisinait, chantait, dansait et accouchait en pleine brousse… Elle se
contentait de suivre son mari. En cas de nécessité, elle participait aux
combats, mais en général, elle ne faisait qu’y assister, et priait son mari de
ne pas prendre trop de risques [136] ».
Néanmoins, Dada, la femme de son lieutenant, Corisco, ressemblait davantage à
Lady Macbeth, et aurait très bien pu commander une bande. La présence de ce qui
est toujours une petite minorité de femmes au sein d’un groupe d’hommes est une
source évidente d’inconvénients, qui peuvent être minimisés par la crainte d’un
chef redoutable, ou, dans les groupes hautement politisés de
Weitere Kostenlose Bücher