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Les Bandits

Les Bandits

Titel: Les Bandits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E. J. Hobsawm
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militant de la région, sa réputation était telle de son
vivant qu’après le massacre de 1947 à la Portella della Ginestra, personne ne s’imagina
que cela avait pu être l’œuvre de Giuliano.
    Mais les bandits tels que les vengeurs et les
haïdoucs
, dont la réputation ne peut se
targuer de redistribution sociale ou de sympathie pour les pauvres, peuvent eux
aussi s’enorgueillir de mythes commodes et tenaces. (Les campagnes regorgent de
durs aux intentions douteuses qui se sont acquis une aura publique par le
simple fait d’être les ennemis de l’armée ou de la police.) On rencontre là le
stéréotype de l’honneur guerrier, ou, en termes plus hollywoodiens, du cow-boy
héroïque. (Dans la mesure où, comme nous l’avons vu, un nombre élevé de bandits
provenaient de communautés à la fois pastorales et martiales qui pratiquaient
les razzias et dont les compétences militaires étaient reconnues par les
puissants, rien n’était plus familier aux jeunes hommes qui en faisaient partie.)
L’honneur et la honte, comme nous l’expliquent les anthropologues, ont dominé
le système de valeurs du bassin méditerranéen, qui reste le berceau régional du
mythe occidental classique du bandit. Les valeurs féodales, lorsqu’elles
existaient, sont venues renforcer ce système. Les voleurs héroïques étaient « nobles »,
ou se considéraient eux-mêmes comme tels, s’arrogeant ainsi un statut qui, au
moins en théorie, incluait des normes morales dignes de respect et d’admiration.
Cette association a survécu jusque dans nos sociétés décidément non
aristocratiques (ainsi dans le « comportement de gentleman » ou le « noble
geste » ou encore la notion de « noblesse oblige [144]  »). En ce
sens, la « noblesse » est commune à la pire des brutes armées et au
plus idéalisé des Robin des Bois, qui pour cette raison sont considérés comme
des « nobles voleurs » (
edel
Räuber
) dans plusieurs pays. Le fait que nombre de chefs bandits
célébrés à travers ce mythe soient vraisemblablement issus de familles
blasonnées (même si le terme
Raubritter
– baron voleur – n’apparaît pas dans la littérature avant l’apparition des
historiens libéraux du XIX e siècle) ne fait que
renforcer ce lien.
    Ainsi, en faisant sa première entrée importante dans la
haute culture (c’est-à-dire dans la littérature du siècle d’or espagnol), le
bandit noble met en avant son supposé statut de gentleman, autrement dit son « honneur »,
de même que sa générosité, sans parler de son sens de la modération dans l’exercice
de la violence et de sa volonté de ne pas s’aliéner les paysans (comme dans
Antonio Roca
, l’œuvre de Lope de Vega
inspirée d’un brigand catalan des années 1540). Faisant écho à un jugement
contemporain, le mémorialiste français Brantôme (1540-1614) décrivit ce dernier
dans sa
Vie des dames galantes
comme « l’un des bandits les plus braves, les plus vaillants, audacieux, prudents,
capables et courtois que l’Espagne ait jamais vus ». Dans le
Don Quichotte
de Cervantès, le bandit
Rocaguinarda (qui opérait au début du XVII e siècle)
est même présenté spécifiquement comme l’allié des faibles et des pauvres [145] . (L’un comme l’autre
étaient de fait d’origine paysanne.) Le bilan réel de ce que l’on a appelé les « bandits
baroques catalans » est bien éloigné de celui d’un Robin des Bois. La
capacité des grands écrivains espagnols à produire une version mythologique du
banditisme noble au moment même où l’épidémie de banditisme des XVI e et XVII e siècles atteignit
son apogée prouve-t-elle leur éloignement par rapport à la réalité, ou
simplement l’énorme potentiel social et psychologique du brigand comme idéal
type ? La question reste ouverte. En tout état de cause, l’idée selon
laquelle Cervantès, Lope, Tirso de Molina et les autres étoiles du firmament
littéraire de la Castille ont été responsables de l’image positive du bandit
qui marqua ensuite la tradition populaire est peu plausible. Les bandits n’avaient
pas besoin de la littérature pour faire la preuve de la dimension sociale de
leur activité.
    C’est ce qu’a montré l’analyse historique la plus fine de la
tradition qui se développe à partir de Robin des Bois, et cela même dans le cas
de voleurs qui ne s’en réclamaient pas [146] .
Elle met en avant « la difficulté que présente la définition de

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