Les Bandits
la Préface à la
présente édition. Elle me reproche un usage acritique de la littérature et des
légendes du banditisme lorsque je les utilise comme sources. Les mythes et les
ballades à la gloire des bandits nous apprennent bien peu sur la réalité
historique du banditisme social, sans parler de la carrière réelle des bandits
eux-mêmes. Pour autant qu’on peut en déduire quelque chose, ce ne peut être qu’au
terme d’une étude critique serrée de l’histoire de ces textes, étude totalement
absente dans la version originale de ma thèse. Bien entendu, cela n’affecte en
rien le statut de ces textes en tant que sources documentant les croyances, les
attentes ou les interprétations populaires du banditisme, bien qu’il faille là
aussi procéder plus prudemment que je ne l’ai fait.
Il convient aussi de mentionner au moins une critique plus
spécifique, qui porte sur le banditisme sarde, bien qu’elle s’applique à la
tendance générale des études sur la Sardaigne plus qu’aux références
occasionnelles que j’y fais dans les éditions précédentes de
Bandits
[198] . On a observé
que le rapprochement entre le banditisme sarde et les hautes terres pastorales
de la Barbagia, supposée être une région aux structures sociales
particulièrement archaïques, ne s’est fait qu’à la fin du XIX e siècle. Il s’agit là, comme on l’a avancé de façon fort
plausible, d’une conséquence de l’émergence, dans cette région et nulle part
ailleurs, d’une économie spécialisée liée au fromage de chèvre, presque
exclusivement orientée vers l’exportation. Elle a depuis pris la forme du vol
de bétail systématique, lié de façon croissante (depuis les années 1960) aux
enlèvements et aux demandes de rançon. Je ne peux pas dire dans quelle mesure l’explication
de ce phénomène en termes de relations entre des hautes terres et des villages
aux structures sociales différentes (« une activité qui, tout en faisant
office de médiation entre des valeurs opposées, maintient leur distinction »)
telle que l’a avancée David Moss est acceptée par les spécialistes de la
Sardaigne.
Finalement, des auteurs inspirés par mon modèle du « banditisme
social » m’ont justement reproché de le limiter aux sociétés agraires
prémodernes. On peut en effet observer un phénomène tout à fait similaire en
Australie au XIX e siècle, ainsi qu’aux États-Unis
aux XIX e et XX e siècles,
alors qu’aucun de ces deux pays ne se présente comme une « société
paysanne traditionnelle », précapitaliste ou préindustrielle. Comme l’observe
l’un des spécialistes du sujet (L. Glenn Seretan) : « Le banditisme
social est un phénomène plus durable et plus polymorphe que ne le suppose
Hobsbawm et […] les vicissitudes de l’évolution historique des États-Unis [ou
de tout autre pays] étaient parfaitement à même d’en produire des variantes
authentiques » – y compris aussi tard que pendant la période du
New Deal
rooseveltien. D’un autre côté,
je ne peux accepter l’argument de mon principal critique « moderniste »,
Pat O’Malley – un spécialiste de Ned Kelly et des
bushrangers
australiens qui considère le banditisme social
dans les sociétés paysannes traditionnelles comme un cas particulier au sein d’une
matrice plus générale, caractérisée en l’occurrence par a) « la présence d’une
lutte de classes chronique qui suscite parmi la population directement
productive une conscience collective du conflit » et b) « l’absence d’organisation
politique institutionnalisée des intérêts des producteurs, capable d’exprimer
un programme d’action visant à la réalisation effective de leurs objectifs
communs ». Il est vrai que la condition b) est généralement vérifiée au
cours de l’ère préindustrielle, mais elle peut également être réalisée plus
tardivement. Pour la même raison, O’Malley reste sceptique lorsque je suggère
que le déclin du banditisme social a partie liée avec l’amélioration des moyens
de transport et de communication modernes, et une plus grande efficacité de l’autorité
publique dans les zones rurales. D’après lui, le banditisme social peut s’épanouir
malgré ces transformations. Pourtant, ses propres travaux ont par la suite
suggéré que les bandits de grand chemin anglais ont disparu au début du XIX e siècle lorsqu’ils ont été confrontés à des forces de
police mieux
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