Les Bandits
littoral et les basses terres de la
Sardaigne au cours de cette décennie. D’une certaine façon, on peut y voir la
résistance d’une société traditionnelle contre la modernisation ; celle
des habitants des plateaux, pauvres, mal nourris, et dépassés par le boom
économique, contre les nouveaux riches de la côte, qu’ils soient insulaires ou
venus du continent. Et ce phénomène a sans aucun doute gardé certaines
caractéristiques de l’ancien banditisme pastoral, dur mais doté de sa propre
éthique [202] .
Il est cependant clair que la nouvelle stratégie était de plus en plus
considérée comme un moyen – sinon par les bergers-ravisseurs, du moins par les
prinzipales
et autres entrepreneurs des
hautes terres qui les emploient – d’acquérir rapidement de larges sommes
destinées à être investies dans l’immobilier du littoral, devenu fort rentable :
le banditisme s’est ainsi fondu dans la Maffia [203] , la contestation
sociale disparaissant derrière l’entreprise criminelle.
Ainsi, au cours des derniers stades de son histoire – et
rares sont ceux qui ne croient pas vraiment que les Robin des Bois ne soient en
voie d’extinction permanente –, le bandit social rural voit son rôle se
transformer à mesure qu’il se produit sur une nouvelle scène : celle d’une
société moderne capitaliste/industrielle, plantée au milieu d’un nouveau
paysage social, économique et technologique, et vraisemblablement peuplée de
nouveaux acteurs, qu’on ne peut plus décrire de façon adéquate comme des
paysans traditionnels qui seraient les représentants d’une société ancienne en
lutte contre la nouvelle, ou comme des défenseurs de la pauvreté rurale. Le
bandit rural peut même en arriver à se détacher progressivement des campagnes
pour se transférer en ville. Après 1873, la bande des James ne se rendit sur
ses terres natales du Missouri occidental qu’occasionnellement, et elle se
rendit compte, comme Frank James le fit noter, que l’anonymat procurait une
sécurité plus importante que le soutien des admirateurs ruraux. Les James ne se
laissèrent jamais photographier ; très peu de gens, y compris dans les
comtés de Clay et de Jackson, savaient les reconnaître ; et ils comptaient
beaucoup plus sur le soutien de la famille élargie plutôt que sur celui de la
communauté, même si les bandits préféraient traditionnellement les liens de
sang. Mais l’anonymat s’acquiert plus facilement dans les villes, et c’est dans
les villes que les James semblent avoir gravité. Car la ville est le lieu des
secrets, tandis que les campagnes sont, du moins pour leurs habitants, celui où
tout se sait immédiatement. Même aujourd’hui, il est des périodes où les ruraux
savent des choses qu’ils cachent collectivement aux étrangers : ainsi dans
le nord du Pays de Galles, où un pacte du silence protège contre les enquêtes
de la police ceux qui brûlent les maisons de villégiature des Anglais. Mais
peut-être cette forme d’
omertà
rurale (comme les Siciliens l’appellent) se fonde-t-elle aujourd’hui sur des
formes d’idéologie, comme le nationalisme moderne, que les bandits sociaux de
la tradition n’étaient pas encore à même de mobiliser, si ce n’est de façon
marginale.
Le mythe du bandit survit aussi dans l’univers urbain
moderne comme une sorte de mémoire populaire, périodiquement réanimée par les
mass media
et le ressentiment des plus
démunis. Tout le monde a été un jour ou l’autre injustement traité par une
institution ou par des individus, mais les plus pauvres et les plus démunis en
font régulièrement l’expérience. Et, dans la mesure où le mythe du bandit
représente non seulement la liberté, l’héroïsme, et le rêve d’une justice
générale, mais aussi l’insurrection de l’individu contre l’injustice
individuelle, le redressement des torts que j’ai individuellement subis, l’idée
du justicier continue de vivre, notamment parmi ceux qui sont privés des
organisations collectives qui constituent la principale ligne de défense contre
ce type d’injustices. Les couches inférieures de la société urbaine moderne
sont peuplées d’une foule de gens qui font l’expérience de ce sentiment. À
mesure que l’État devient plus distant et que des institutions telles que les
syndicats se réduisent à des organisations d’autodéfense corporatiste (comme
cela est le cas dans de nombreux pays), il se pourrait bien
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